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L’automne des Military Shooters ?

L’automne des Military Shooters ?

L’année 2016 a été marquée par deux paris réussis dans le genre du First Person Shooter (FPS) : Overwatch (Blizzard Entertainment) et Doom (id Software). Différents dans leur approche, ces deux titres ont toutefois en commun de revitaliser le genre en le reconstruisant à partir des idées fondamentales qui avaient fait sa gloire dans les années 1990. Overwatch, à bien des titres, peut être considéré comme une hybridation de Quake 3 Arena (id Software, 1999), pour son gameplay rapide et nerveux, de Team Fortress 2 (Valve, 2007) pour sa structuration en objectifs et de Dota (actuellement détenu par Valve, 2003) pour la distribution des personnages et le système de progression. Mais Doom (2016) s’abreuve à un gameplay encore plus ancien, que l’on pouvait croire révolu : le FPS labyrinthique des années 1990.

Les éditeurs semblaient considérer ce marché comme enterré, et préféraient publier des « Military Shooters » qui se caractérisent par une répétition des innovations apportées par Call of Duty (Activision, 2003) et Halo (Bungie, 2001), ainsi que par un certain conservatisme. Le Military Shooter est devenu, au cours des années 2000, la grande vache à lait de l’industrie du FPS : chaque année, le consommateur a droit à une nouvelle mouture de Call of Duty ou de Medal of Honor (dernier opus en 2012). Depuis les années 2010, la série Battlefield a également beaucoup emprunté aux boucles de gameplay des Military Shooters, jusqu’à rendre son expérience quasiment interchangeable avec celle d’un Call of Duty. Prenant ce contexte à contre-courant, Doom a prouvé qu’une modernisation des principes du FPS antérieurs à l’an 2000 était non seulement possible, mais encore qu’elle apportait une expérience de jeu supérieure aux opus affadis servis chaque année par les grandes licences.

Des Military Shooters innovants pour répondre à l’usure des Doom-likes (années 2000)

Au début des années 2000, un nouveau type de FPS a vu le jour. Il répondait à deux impératifs de l’époque : proposer un FPS agréable à jouer sur console et répondre à l’essoufflement du genre, dû à la multiplication des clones de Doom (1993) maladroits. Il s’agissait donc de s’implanter dans un nouveau marché, ouvert par l’amélioration des capacités 3D des consoles, tout en proposant des innovations radicales afin de se distancier du modèle de Doom, jugé dépassé.

Les trois jeux qui ouvrent cette nouvelle ère du FPS vont définir les caractéristiques nouvelles du genre, encore copiées aujourd’hui. Parmi ces innovations, la plus flagrante est la scénarisation du FPS par des artifices non-interactifs toujours plus nombreux. Les cinématiques se multiplient, jusqu’à devenir une partie intégrante du gameplay. La plupart des cinématiques des Military Shooters sont en effet jouées alors que le joueur est toujours capable d’agir. Si il conserve ses capacités de mouvement, c’est dans un cadre limité, le jeu l’invitant à regarder les personnages non-joueurs dialoguer, ou des explosions se produire. Au terme de cette cinématique intégrée, le passage à la scène suivante s’opère généralement par l’ouverture d’une porte jusqu’ici condamnée. Certains jeux (comme Medal of Honor : Warfighter, 2012) vont jusqu’à tuer arbitrairement le joueur si il essaye d’explorer hors du cadre imposé par la cinématique intégrée. Le gameplay n’est donc plus le cœur de l’expérience : le Military Shooter se pense avant tout comme un film hollywoodien interactif.

Cet enfermement du joueur dans un cadre dirigiste reconfigurent des éléments centraux du gameplay, comme la taille et la disposition des niveaux. Alors que les FPS des années 1990 invitaient à l’exploration en plaçant le joueur dans des cartes ouvertes, à plusieurs étages et truffées d’objets cachés, les Military Shooters tendent à aligner une suite de couloirs et de salles plates, séparées par des cinématiques. Ce dirigisme était rafraîchissant à son invention et lorsqu’il est correctement réalisé : il permet de rythmer l’action, tout en offrant une expérience plus accessible que la plupart des anciens FPS.

L’accessibilité a été un des grands combats menés par les développeurs pour réconcilier le FPS avec le marché de la console. Les anciens FPS étaient relativement difficiles, car ils contraignaient le joueur à explorer le niveau pour récupérer des munitions, de la vie et des armes, ce qui l’amenait au contact des monstres de manière relativement organique. Les monstres ne se ruaient pas vers le joueur parce que le scénario en avait décidé ainsi, mais parce que le joueur explorait activement le niveau. Pour rompre avec cette difficulté d’accès, les Military Shooters doublent leur structure dirigiste d’aides au joueur. Halo popularise, par exemple, le soin automatique : plutôt que de devoir trouver des médikits, le joueur récupère lentement de la vie en se cachant. Originellement conçu pour palier à la faible adaptation des manettes au FPS, cet élément de gameplay se répand à nombre de FPS PC, et même à des Third Person Shooters (TPS) comme la série des Uncharted (premier opus en 2007). La régénération automatique est si usitée qu’elle aboutit parfois à une négation de la difficulté, comme dans Battlefield 1 (2016) où les niveaux en avion sont quasiment impossibles à rater, car la régénération soigne plus rapidement que la totalité des dégâts infligés par les ennemis.

La multiplication des Military Shooters a entraîné une reproduction de ces innovations sans qu’une réflexion soit menée sur leur bon usage. Elles étaient reproduite car les premiers titres les ayant introduites s’étaient bien vendues. Toutefois ce qui apparaissait il y a dix ans comme des nouveautés est désormais décrié comme particulièrement ennuyeux. La non-interactivité, la facilité exacerbée, les niveaux couloirs, mais aussi un système de tir sans aucun effet de recul ni poids ressenti de l’arme, sont devenus, pour une part croissante du public des FPS, des tares irrémissibles. Les Military Shooters connaissent ainsi un déclin rapide dans leurs ventes depuis le début des années 2010.

La lassitude du consommateur face aux Military Shooters (années 2010)

En 2012, Call of Duty : Black Ops 2 obtient un succès en demi-teinte, annonciateur des années à venir. Il écoule 29,46 millions de copies toutes plate-formes confondues, chiffre inférieur à celui des deux opus précédents : Modern Warfare 3 (2011) avait vendu 30.92 millions de copies, dont 14.8 sur Xbox 360, tandis que Black Ops (2010) avait plafonné à 30,93 millions de copies. Ce premier léger fléchissement se transforma en affaissement constant à mesure que la licence Call of Duty reconduisait des jeux de piètre qualité. Les studios de développement sont en effet astreints à un rythme soutenu : chacun a deux ans entre chaque sortie des Call of Duty dont il a la charge. A partir de 2011, un troisième (Sledgehammer Games) s’ajoute aux deux studios historiques (Infinity Ward et Treyarch), afin de détendre les cycles de développement à trois ans. Malgré cet aménagement, les studios continuent de peiner à offrir aux joueurs des opus satisfaisants, comme le montre le lent affaissement de leurs ventes :

Le graphique inédit ici produit présente les ventes des jeux Call of Duty sur 11 ans, pour les trois grands types de plate-forme. La série s’adresse avant tout à un public de joueurs console, le marché du PC n’ayant jamais dépassé le pic marginal de 2011 (1,72 millions de copies). Parmi ce public console, on peut distinguer deux tendances différentes : les joueurs PlayStation sont moins nombreux mais plus résilients que les joueurs Xbox, plus nombreux mais moins fidèles. A partir de 2012, la série enclenche un affaissement lent mais constant, précipité par l’échec des opus « dans l’espace » de 2014 et 2016. Si la marque « Black Ops » permet à l’opus de 2015 de résister, il est néanmoins un succès légèrement moindre que Ghosts (2013), pourtant décrié à l’époque comme médiocre, car trop traditionaliste et manquant d’innovations. En vendant moins d’unités que les jeux de 2007 et 2008, Infinite Warfare (2016) met Activision face aux contradictions de sa série : l’innovation importante du titre était censée redonner du souffle à la série ; au contraire, le changement a aliéné des fans fidèles soucieux de retrouver la même expérience chaque année.

Les Call of Duty d’après 2012 semblent en effet être des funambules à la recherche d’un équilibre entre tradition (toujours majoritaire) et innovation. La série est placée face à un dilemme commercial : ses ventes, si elles baissent, restent élevées, car la réserve de fans désirant rejouer au même jeu chaque hiver est stable. Notre graphique tend par ailleurs à montrer que les joueurs les plus traditionalistes de Call of Duty jouent sur PlayStation : les ventes sur ces machines reculent en temps d’innovation (2014 et 2016), et, au contraire, sont celles qui augmentent le plus en période de retour aux sources (Black Ops 3, 2015).

Cette communauté, peu encline au changement, se place en porte-à-faux avec les joueurs occasionnels, plus sensibles à l’innovation, dont des franges quittent la série chaque année. Cet équilibre fragile entre deux types de consommateurs est apparu en pleine lumière à la sortie d’Infinite Warfare. De 2012 à 2015, la baisse des ventes peut être attribuée aux joueurs occasionnels lassés. L’opus de 2016 a quant à lui provoqué une levée de boucliers chez les joueurs traditionalistes, a cause de ses trop nombreuses innovations. Le jeu a, dès son trailer (une des vidéos les plus « dislikées » de l’année), subi une réception négative, qui a rapidement dégénéré en campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux. Ce qui a non seulement conduit le jeu à se vendre très médiocrement (11,16 millions de copies), mais a également poussé Eric Hirshberg, P-DG d’Activision, à reconnaître publiquement l’échec du titre.

Les Military Shooters semblent aujourd’hui pris au piège de leur propre réussite. L’idée, brillante à maints égards, de placer le gameplay à l’arrière-plan au profit d’une mise en scène hollywoodienne a attiré des millions de joueurs fidèles, réguliers et prêts à racheter un jeu au gameplay identique chaque année. Mais ce succès a, paradoxalement, placé les Military Shooters dans un marché de niche. Une grande niche, qui arrive encore à vendre 10 à 15 millions de copies par an, mais une niche tout de même. Ils ne peuvent plus réellement innover, au risque de s’aliéner leur audience fidèle, mais ne peuvent plus non plus rester tout à fait immobiles, au risque de disparaître. On notera par exemple que la série Medal of Honor a été tuée par son très mauvais opus Warfighter (2012), vendu à seulement 2,91 millions d’exemplaires et décrié comme l’exemple de mauvaise application des recettes du genre.

Cette marginalisation commençante des Military Shooters a ouvert un espace pour de nouveaux genres de FPS. La frustration alimentée chez des joueurs avides d’innovation, lassés de rejouer sans cesse au même jeu, a fondé le substrat de la réussite de nouveaux FPS radicalement opposés aux Military Shooters, tels qu’Overwatch ou le nouveau Doom.

La fin de l’hégémonie des Military Shooters (2016)

Nous assistons aujourd’hui à la clôture d’un cycle commercial : après être devenus hégémoniques parmi les FPS, notamment sur le marché des consoles, les ventes des Military Shooters plafonnent et commencent à baisser. S’ouvre une nouvelle époque, marquée par le retour en force de deux types de FPS (les Arenas et les labyrinthes) qui étaient devenus confidentiels dans les années 2000. Ces deux variétés se sont rapidement imposées sur la scène PC, tout en faisant des percées dans la scène console, notamment depuis le succès d’estime de Wolfenstein : the New Order (2014). Face à cette nouvelle concurrence, les Military Shooters vacillent sans s’effondrer. Le marché semble se reconfigurer vers une fin de l’omniprésence de ces FPS, sans aucune autre offre crédible disponible, mais sans pour autant annoncer la disparition des Military Shooters. Ce rééquilibre, qu’on ne peut que saluer comme bénéfique pour le marché du jeu vidéo, est un tournant dans l’histoire commerciale du FPS. Après 5 à 10 ans de variété limitée, le FPS retrouve un éclectisme notable.

Hearthstone : les dessous de l’addiction

Hearthstone : les dessous de l’addiction

En s’emparant du genre du jeu de cartes à collectionner (JCC) en 2014 avec Hearthstone, Blizzard entertainment a réussi le pari risqué de transformer un petit projet porté par deux personnes, dans un genre de niche, en un des plus grands succès vidéoludiques des dernières années. Hearthstone comptait environ 10 millions de comptes régulièrement actifs en 2014, 40 millions à la fin de l’année 2015 et 50 millions après la sortie de l’extension Whispers of the Old Gods. Cette réussite n’était pas acquise. Depuis l’invention du JCC par Richard Garfield (Magic : the Gathering, 1993), les développeurs se sont échinés à en porter les mécaniques sur ordinateur (voire console), avec des succès mitigés. Peu à peu, le JCC sur ordinateur s’était enraciné comme un genre au public limité. Ce constat poussait les développeurs à satisfaire les attentes de ce public fidèle, exigeant et stimulé par la complexité mécanique et le deckbuilding. Les titres antérieurs à Hearthstone ont ainsi mis l’accent sur les tactiques liées au concept de positionnement et ont limité, voire banni, l’aléa, afin de proposer une expérience de jeu réflexive et nécessitant un haut degré de compétence. Might and Magic : Duel of Champions (2012) en est un bon exemple. Ce jeu plonge le joueur dans une structure plus complexe que les JCC physiques les plus difficiles d’accès (tels que Legend of the five rings ou Netrunner) et l’efficacité des cartes jouées dépend autant de leur placement que de leurs capacités intrinsèques.

L’équipe derrière Hearthstone prit le parti de renverser cette perspective. Plutôt que d’offrir aux joueurs des outils pour limiter l’aléa, Hearthstone mise non seulement sur la suppression des mécaniques limitant l’aléa (comme la recherche de cartes dans le deck), mais encore sur un renforcement délibéré de l’aléa dans les mécaniques internes aux cartes. Comme Ben Brode, lead designer de Hearthstone, aime à le répéter, ses choix fondamentaux se fondent sur trois piliers : simplifier les mécaniques pour les rendre accessibles ; ponctuer les parties d’événements aléatoires pour les pimenter et permettre au joueur de « se raconter une histoire » ; polir les feedbacks (rétroactions) visuels et sonores de chaque action afin de la rendre « fun ».

Mais, si cette philosophie explique l’essor rapide de Hearthstone, elle ne nous dit pas grand’chose des raisons qui poussent les joueurs à revenir régulièrement dans le jeu et, ainsi, à maintenir sa population aussi active. Nous pouvons en effet accepter l’idée, même en aimant Hearthstone, que ce jeu offre des mécaniques très inférieures à d’autres JCC du marché. Manque de flexibilité dans le deckbuilding, parties parfois décidées par un jet de dé de Ragnaros ou de Yogg-Saron bien placé, système d’assignation des attaques et positionnement réduits à leur plus simple expression. Alors, comment Hearthstone parvient-il à rendre fidèle une population aussi étendue, alors qu’elle a à disposition des jeux mécaniquement supérieurs ? Nous verrons que, au travers du design accessible défendu par Ben Brode, se déploie une véritable machine à capter l’attention humaine, à créer de petites émotions positives accoutumantes et à réinjecter un désir d’investissement dans le joueur. Une fois dépouillé de ses artifices joyeux, Hearthstone se présente comme une boîte de Skinner évoluée capable de capter et de rendre fidèles les consommateurs en jouant sur des ressorts subconscients. Il s’inscrit alors parfaitement dans le modèle des « logiciels attrapeurs » décrit par Nir Eyal dans Hooked: How to Build Habit-Forming Products.

1. Créer l’habitude : des stratégies d’attraction internes et externes

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S‘insérer dans les habitudes quotidiennes des utilisateurs est devenu un enjeu clairement identifié par les créateurs de logiciels et de contenus divertissants depuis l’avènement des réseaux sociaux (2005). La rapidité du zapping, la recherche de la gratuité et la fluidité des hyperliens font d’Internet un marché de l’attention avant d’être un marché de valeurs. Pour des compagnies comme Youtube (Alphabet), Facebook, Twitch (Amazon), la question première est d’obtenir un capital d’attention humaine afin de le monétiser ultérieurement, par exemple en le vendant à des annonceurs de publicité, ou en créant des synergies entre produits gratuits (Twitch) et payants (Amazon premium). Ce combat pour l’attention des usagers ne se limite pas aux grandes plateformes d’Internet. La saturation du marché du jeu vidéo, notamment mobile, pousse les développeurs à proposer des jeux à l’attractivité profonde. Être gratuit ne suffit plus, il faut s’assurer que les joueurs reviendront jouer le lendemain et ne zapperont pas vers un autre jeu similaire. Pour dégager de la valeur, il faut désormais non seulement être capable de former une grande base de joueurs, mais encore de la fidéliser, afin d’en retirer des profits réguliers et, ainsi, de transformer son jeu en rente. Il faut que le jeu se transforme en habitude quotidienne.

Afin de mettre en œuvre cette stratégie commerciale, les agents économiques ont développé l’idée de « l’habitude comme stratégie », laquelle passe tout d’abord par la présentation au joueur de « triggers » (déclencheurs) internes et externes dont la fonction principale est d’inciter le joueur à revenir plus tard. Les déclencheurs internes son intégrés au cœur du logiciel, tandis que les externes alertent lusager alors qu’il n’est pas en train d’utiliser le logiciel. Afin d’aller à l’essentiel, nous ne parlerons pas des déclencheurs externes, conçus pour pousser les joueurs à se souvenir que le logiciel existe et à y revenir. On notera simplement l’énergie et l’argent dépensés par Blizzard pour investir ses « community managers » dans des réseaux sociaux comme Reddit, aider des youtubeurs en les faisant participer aux campagnes publicitaires, financer des événements (compétitions, événements de sortie d’extension, publicités murales…).

Dans l’histoire des jeux gratuits, les déclencheurs internes ont d’abord été négatifs : ils organisaient la frustration du joueur. Un grand nombre de ces jeux imposent au joueur une limite d’actions quotidiennes, dans un espace ludique où chaque accomplissement prend un nombre d’actions gigantesque. À charge du joueur de mâcher sa frustration dans la patience ou de succomber à l’achat d’avantages qualitatifs (accélération du temps, objets obtenus immédiatement au lieu d’attendre, etc.). Ce format de déclencheurs internes n’est pas commercialement optimal, car il associe l’application à des émotions négatives et rançonne le joueur plus qu’il ne le motive. Les réseaux sociaux bouillonnent ainsi, à intervalle régulier, de dénonciations de ces titres « pay to win », au point de faire de ce terme un stigmate dévalorisant.

Un des piliers du design de Hearthstone est, au contraire, de bannir le sentiment de frustration et de manière générale les émotions négatives, afin que l’empreinte cognitive formée par le jeu chez le joueur ne soit teintée que par des affects agréables. Ses déclencheurs internes sont donc des récompenses disséminées au cours du jeu et suivant des chronologies enchâssées, ce qui génère un engagement de long terme. Chaque jour, le joueur reçoit une « quête » sanctionnée par une récompense virtuelle (de l’or, monnaie d’échange interne du jeu). Chaque semaine, il peut expérimenter un nouveau module de règles (« le bras de fer » ou « tavern brawl ») qui est sanctionné par le don gracieux de cinq cartes aléatoires. À mesure qu’il joue, il reçoit des cadeaux réguliers : nouveaux héros, nouvelles cartes de base, cartes dorées. Toutes les trois victoires, il obtient de l’or. Plus sa collection s’étoffe, plus il est susceptible de revenir pour rentabiliser le temps et l’argent investis dans le jeu. Ces systèmes de progression positifs, pratiqués par tous les jeux gratuits, permettent de fidéliser le joueur par les émotions ; mais Hearthstone ne s’arrête pas là.

Sa spécificité par rapport à d’autres jeux gratuits est d’implanter des déclencheurs internes à l’intérieur même de son équilibrage. La frustration et les émotions négatives sont traquées jusque dans les capacités de deckbuilding des joueurs. Ainsi, Blizzard sanctionne régulièrement des cartes et des combos (combinaisons d’effets) non pas pour leur efficacité, mais parce qu’ils créent des émotions négatives chez l’adversaire. Dans sa conférence « 10 bits of design wisdom », Eric Dodds (ancien directeur du projet Hearthstone) explique que la carte Mind Control était tout à fait équilibrée lorsqu’elle coûtait 8 manas, mais qu’elle a été remontée à 10 manas car elle frustrait l’adversaire. On se souvient également de combos au ratio victoire/défaite équilibré, mais violemment rééquilibrés par Blizzard, pour des raisons émotives, l’exemple le plus spectaculaire étant le combo Grim Patron + Warsong Commander. Ainsi, Blizzard chasse régulièrement les combos sans interaction du paysage d’Hearthstone afin d’en faire un lieu non pas de haute inventivité de deckbuilding ou de haute compétition, mais plutôt un lieu ne diffusant que des affects positifs au joueur, condition pour renforcer sa fidélité au jeu. Mais la qualité des émotions ne suffit pas à fidéliser le joueur ; il faut également le bombarder d’affects positifs à vitesse rapide afin de créer un sentiment continu d’agréable, appelé par les designers l’état de « fun » et par les spécialistes des logiciels attrapeurs « to dazzle », « dazzlement » (l’éblouissement).

2. Éblouir le joueur par des micro-plaisirs issus de micro-actions

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Dans Hearthstone, le joueur n’est pas seulement attiré par des déclencheurs qui renforcent des émotions positives, il est fidélisé par des boucles de gameplay simplifiées, raccourcis et délivrant chacune une rétroaction positive. L’équipe de Blizzard ne traque pas seulement la frustration dans l’équilibrage du jeu, mais l’a bannie de ses règles fondamentales. En « s’interrogeant sur les fondements du genre », Blizzard a cherché à « simplifier » les boucles de gameplay des JCC afin de faire correspondre les temps de l’action du joueur et de la réaction du jeu. Par exemple, le système de ressources d’Hearthstone est une simplification de celui de World of Warcraft : Trading Card Game, projet sur lequel travaillait Ben Brode. Dans WoW : TCG, les cartes de ressources (comparables aux terrains de Magic) produisent certes des points de ressource, mais leur absence peut être remplacée par la transformation d’une carte de sa main en carte de ressource. Cette mécanique de sacrifice permet d’éviter le fameux « mana starve » ou « mana screw » de Magic : le fait de perdre non pas par erreur de jugement, mais parce qu’on n’a pas pioché de terrains. Pendant le prototypage d’Hearthstone, Ben Brode franchit un nouveau pas. Puisqu’il est nécessaire d’obtenir une ressource supplémentaire chaque tour pour s’amuser, pourquoi frustrer le joueur des cartes de sa main en le forçant à les sacrifier ? Il décide d’offrir gratuitement, à chaque tour, le point de ressource supplémentaire, réconciliant ainsi l’affect négatif de l’attente (piocher une ressource) et l’affect positif de l’action (jouer des cartes grâce à ces ressources) en un seul affect positif. Puis, au cours de la partie, l’émotion positive créée par la prise d’action est systématiquement renforcée par des rétroactions positives (sons, animations, etc). Cette stratification de plusieurs affects positifs suite à une seule action du joueur permet de déclencher des réponses physiologiques et cérébrales au-delà de la conscience, de l’ordre du micro-plaisir hormonal.

Tout le design d’Hearthstone consiste à mettre bout à bout ces micro-plaisirs au sein d’une partie, à la fréquence la plus haute possible, afin d’accoutumer le joueur à ces plaisirs. C’est ce que Eric Dodds appelle la mise en lien des « little victories », renforcée par une multiplication de rétroactions agréables. Les actions du joueur sont réduites à leur plus simple appareil (poser une carte sur le champ de bataille, glisser les serviteurs pour attaquer, limiter les cartes à capacités complexes…) car, du point de vue du designer, elles ne sont pas leur propre but. Le but réel des actions du joueur est de déclencher des renforcements positifs qui viennent l’affecter sous la ligne de flottaison de la conscience, exactement comme tirer le bras d’un bandit-manchot. L’enjeu, pour le designer, n’est alors plus de proposer des boucles de gameplay enrichissantes, qui ouvrent des stratégies, ou même innovantes, mais plutôt d’en faire des instruments au service du « Hook » (grappin) qui va créer une habitude compulsive chez le joueur. La notion même de « jeu » s’en trouve quelque peu déstructurée au profit de l’idée d’habitude compulsive.

Mais ces récompenses émotionnelles seraient d’une efficacité limitée si elles se contentaient d’être linéaires et prévisibles. Tout comme on ne s’éblouit pas de voir toujours la même lumière s’allumer lorsqu’on ouvre son frigo, on se lasserait d’entendre la même rétroaction répétée cent fois. L’accoutumance peut mener au désintérêt. Sauf si l’aléa, l’imprévisible, rentre en jeu.

3. Conditionner le joueur par les récompenses variables

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Une fois posée l’idée qu’Hearthstone alterne, le plus rapidement possible, entre actions du joueur et récompenses émotionnelles stratifiées, nous retrouvons à vrai dire des schémas classiques de la psychologie comportementale. À commencer par le conditionnement de Pavlov, qui a mis en évidence les apprentissages subconscients du cerveau par l’association entre une action neutre et un renforcement positif. En délivrant, avec une répétition assumée, des émotions agréables à chaque micro-action du joueur, Hearthstone conditionne le joueur à l’aimer, par un transfert de stimulations classique. L’association « action → agréable » dérive jusqu’à correspondre à l’association « Hearthstone → agréable », car ce logiciel est le cadre neutre initial commun à toutes ces émotions positives. Tout comme Watson parvint à construire chez un enfant une peur des souris en renforçant leur présence neutre par une émotion négative, Hearthstone parvient à construire chez le joueur un plaisir compulsif en renforçant sa propre présence par des émotions positives.

Hearthstone parvient à conditionner son joueur à l’aimer grâce à sa capacité à alterner les récompenses prévisibles et imprévisibles. Les recherches de la psychologie comportementale ont en effet montré que le renforcement positif était d’autant plus puissant qu’il était imprévisible. Le façonnement de Skinner consiste ainsi à construire des comportements attendus chez un animal en associant ses actions à des récompenses. L’apprentissage peut se faire sans aléa : à chaque fois que l’animal actionne un levier, il obtient de la nourriture ; rapidement, l’animal se met à actionner le levier dès qu’il a faim. Mais il peut également être intermittent : l’animal actionne un levier et il n’a que 50 % de chance d’obtenir de la nourriture. Skinner met alors en évidence que, dans le second cas, l’apprentissage est plus lent mais le désir de toucher le levier augmente énormément. L’animal se met non plus à tirer le levier lorsqu’il a faim, mais en permanence, de manière compulsive. La variance du renforcement positif augmente les attitudes addictives du sujet. C’est exactement cette stratégie d’attraction que privilégie Hearthstone, en se faisant une sorte de grande boîte de Skinner très évoluée.

Car, à l’aléa inhérent à tout JCC, qui est déjà une forme de récompense variable, Hearthstone ajoute un aléa savamment distribué au sein même de son gameplay. Tout JCC possède en effet au moins deux types de récompenses variables. D’une part le joueur achète des booster packs qui contiennent des cartes aléatoires et sont autant de possibilités de plaisir, d’autre part il pioche à chaque tour une carte aléatoire de son deck, qui peut devenir une récompense lorsqu’il s’agit d’un « topdeck », c’est-à-dire de la bonne carte au bon moment. Mais l’équipe d’Hearthstone va au-delà de ces deux fondamentaux et développe une stratégie de design qui renforce « l‘histoire produite par les joueurs » en « embrassant le média numérique ». Derrière ces termes se cache l’idée de profiter du fait d’être un JCC sur ordinateur pour créer des interactions difficilement possibles dans un jeu papier et susceptibles de modifier le cours de la partie de manières imprévisibles. Des cartes comme Tinkmaster, Ragnaros, Yogg-Saron, Sylvanas, Dr. Boom, Knife Juggler, Brawl… possèdent des capacités aléatoires susceptibles de créer des histoires mémorables, étonnantes, impressionnantes. La variabilité des cartes est si présente dans le design fondamental d’Hearthstone qu’elle a conduit à la création d’un channel youtube populaire, Trolden, dédié à la recension de suites d’événements aléatoires improbables ou jouissifs.

Cette place centrale de l’aléa dans Hearthstone, parce qu’elle crée une récompense ou une punition variable, ne contribue pas seulement à générer de belles histoires, mais fait aussi du jeu une boîte de Skinner où le joueur ne peut pas anticiper les renforcements positifs (voire négatifs) que son action lui prodiguera. Par exemple, si le joueur invoque un Flame Juggler alors que l’adversaire contrôle un serviteur possédant 1 point de vie, il a 50 % de chance d’obtenir une récompense de faible intensité (Flame Juggler assigne son dégât au héros adverse) et 50 % d’avoir une récompense de forte intensité (Flame Juggler tue le serviteur adverse) en plus des rétroactions positives normales d’entrée en jeu (animation et son). Dans certaines conditions, il peut même offrir une chance de remporter la partie sur un jet de dé (si le héros adverse ne possède plus que 1 point de vie). Cette variance des récompenses, implantée comme mécanique principale de jeu, nous fait penser aux machines à sous des casinos, objets directement dérivés de la boîte de Skinner et qui en possède même les attributs morphologiques (une boîte qui a une chance de servir une récompense quand on tire le levier). Hearthstone comporte les exacts mêmes éléments et structures, derrière un vernis joyeux et engageant.

Conclusion : organiser l’addiction pour exister dans un marché très concurrentiel

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A la lecture de cet article, on pourrait croire que l’auteure porte un jugement de valeur sur la manière dont Blizzard organise l’addiction de ses joueurs à Hearthstone. Ce serait oublier qu’il n’est qu’une analyse factuelle à réintégrer dans un contexte commercial plus large. Si Blizzard applique ces stratégies pour faire rentrer Hearthstone dans les habitudes quotidiennes du joueur, c’est certes parce qu’elles sont efficaces, mais c’est également parce que le marché du jeu mobile est saturé et que l’offre déborde le temps disponible des joueurs. Avec trop de jeux de bonne facture disponibles, il ne suffit plus à un jeu d’être bon et gratuit pour survivre. Il lui faut être un logiciel attrapeur capable de ramener à lui les joueurs, de devenir une partie de leur routine quotidienne et de leur délivrer régulièrement du plaisir. Le jeu dépasse donc son état de divertissement passager pour devenir la petite manie que nous avons tous. Cette nécessité découle directement de la dématérialisation des jeux, de leur distribution par Internet et de leur abondance. La saturation du marché et la compétition incessante des contenus poussent à développer des stratégies pour retenir l’attention des utilisateurs et les fidéliser.

Mais alors, Hearthstone est-il encore un jeu ? Assurément, mais il est aussi plus qu’un jeu. Il est une boîte à conditionner l’esprit humain. Et c’est bien cela qui explique son succès fulgurant, malgré un gameplay inférieur à d’autres jeux du marché, à la fois en complexité et en intérêt objectif. Il ne nous semble pas incongru de noter, à ce propos, qu’Hearthstone nous est offert par la même compagnie qui a produit World of Warcraft, un jeu qui a particulièrement stimulé les recherches en psychologie et en addictologie pour comprendre ses effets puissants d’attraction et de fidélisation sur ses joueurs. Dans cette perspective, Hearthstone s’avère peut-être être le compendium des stratégies addictives explorées 10 ans plus tôt par World of Warcraft.

Civilization : l’humanité européenne

Civilization : l’humanité européenne

Le 21 octobre 2016 est sorti Civilization VI, un jeu de stratégie et de gestion excellent, aux boucles de gameplay bien pensées et addictives. Ce billet n’a pas pour objet de réfléchir aux conditions du succès de cette expérience vidéoludique, ni de la décrire. J’aimerais plutôt aborder, sans le juger, le substrat culturel qui nourrit la représentation de l’humanité dans la série Civilization. La multiplication des factions et des personnages historiques côtoie en effet un gameplay commun à tous, directement inspiré par une vision européenne de la civilisation, dont il est intéressant d’identifier les grands motifs. La représentation du monde portée par Civilization, profondément européenne, est d’autant plus facile à élever en modèle commun à toute l’humanité que ce processus existe et a existé dans le réel. À partir de la première mondialisation des XVIe et XVIIe siècles, l’homogénéisation des imaginaires humains s’est faite au rythme et à l’image des empires les plus puissants, tous issus de la matrice européenne. Depuis l’Espagne sur laquelle le soleil ne se couche jamais jusqu’à l’empire des États-Unis, la pensée issue de la matrice européenne s’est posée en référent de tous les imaginaires humains, venant les métisser et les infléchir plus que les remplacer.

Civilization est l’héritier de ce processus d’élévation de l’imaginaire européen à l’état d’imaginaire humain. Tout comme les humains de Star Trek parlent l’English et ont adopté le code moral et la sensibilité des gentlemen anglais, Civilization propose une vision unifiée de l’humanité teintée par son origine américaine. Car, si l’on réduit la signification de son expérience de jeu à sa substantifique moëlle, on voit que Civilization propose au joueur d’exploiter un environnement stable et abondant afin de progresser vers une mondialisation heureuse tout en disputant l’hégémonie à ses voisins.

Un environnement abondant et éternel

L’environnement de Civilization est un biome rêvé. Les ressources y sont facilement accessibles et leurs filons sont intarissables ; l’enjeu pour les joueurs est donc moins de gérer intelligemment ces ressources que de les préempter le plus vite possible et d’en exploiter un maximum. Si les ressources stratégiques sont limitées, dans le sens où elles ne peuvent satisfaire qu’un nombre limité d’unités (par exemple, une unité de chevaux ne peut être allouée qu’à une unité de cavalerie), elle ne s’épuisent toutefois jamais, sont stables et ne connaissent ni le lessivage, ni l’effondrement, ni la baisse de rendement. L’espace naturel, dans son ensemble, est un espace à conquérir et l’industrialisation n’a aucun effet négatif sur le milieu. La pollution est absente, les dysfonctionnements climatiques n’existent pas, la désertification n’inquiète personne. La nature présentée par Civilization est bien plus celle que les Européens libéraux croyaient (croient toujours ?) pouvoir dominer que ce système fragile, fait d’équilibres multiples et entré en crise, dans lequel nous vivons.

Cet imaginaire d’une nature abondante à exploiter jusqu’à la moëlle est profondément ancré dans la culture européenne et y devient hégémonique au XVIe siècle. Elle trouve sa légitimité, aux yeux des hommes de l’époque, dans la Genèse 1.26 : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre ». Puisque la nature a été créée pour les plaisirs humains, alors la question n’est pas de gérer intelligemment la finitude de la biodiversité (pour éviter qu’elle ne s’épuise), mais de l’exploiter le plus massivement possible. Cette vision chrétienne de la nature a accompagné le développement du capitalisme européen dans ses diverses phases, depuis le XIIe siècle, et a empêché à cette culture de penser l’effondrement environnemental.

Il aurait pu ne pas en être ainsi. L’histoire étant faite de contingences, on remarque que, jusqu’au XVe siècle, un second paradigme chrétien de la nature cohabitait avec celui de la Genèse. Dans le premier épître aux Romains, Saint Paul dit : « La créature elle-même sera libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu ». Cette phrase a laissé perplexes un grand nombre de théologiens médiévaux et a alimenté leurs débats. Si les cochons, les vaches, les fourmis et les autres animaux peuvent entrer au paradis et siéger à la droite de Dieu, béats de sa lumière, cela ne signifie-t-il pas qu’ils sont dôtés d’une âme ? Mais alors, s’ils possèdent une âme, faut-il baptiser les animaux ? Sont-ils responsables de leurs actes ? Et qu’en est-il des animaux sataniques, alliés de l’Ennemi, comme le dragon ? Le dragon peut-il être sauvé ? Force est de constater qu’à la fin du Moyen Âge, l’idée selon laquelle les animaux sont responsables de leurs actes et pouvaient gagner leur place au paradis était relativement ancrée dans les esprits : certains juges les traduisaient en justice tandis que de nombreux Saints préchaient la bonne parole aux bêtes (à l’image de Saint François d’Assise édifiant les oiseaux). On trouve également des évèques savoyards se résolvant à excommunier la société des rats, après l’échec de pourparlers avec leur souverain (qui n’a même pas daigné se présenter). Cette lecture de Saint Paul était porteuse d’une relation différente à la nature que celle de la Genèse, mais était développée par une minorité d’auteurs médiévaux. L’environnement était alors certes perçu comme une création, mais une création respectable où l’humain possède une place parmi d’autres et doit composer avec les autres habitants légitimes de la sphère terrestre. La première mondialisation du XVIe siècle et l’exploitation systématique des Amériques enterra toutefois définitivement cette seconde voie.

Civilization ne fait pas le choix de cette matrice minoritaire et lui préfère la majoritaire qui sous-tend nos esprits productivistes. Cette nature imaginée comme éternelle et stable permet aux sociétés de tendre vers un progrès linéaire, uniforme et mondialisé.

Du progrès linéaire à la mondialisation heureuse

Bien qu’ils aient fait un effort de complexification avec Civilization VI, les arbres technologiques de ces jeux vidéo, représentant les savoirs acquis par une société, restent extrêmement linéaires. Il n’est pas possible d’atteindre l’administration sans être passé par la roue. Une représentation bien réductrice des capacités d’invention humaines, mais, surtout, encore une fois directement issue de la pensée européenne. Au XIXe siècle, alors que les ethnographes commencent à arpenter les cultures qu’ils jugent« primitives », un historien français, Guizot, propose un schéma explicatif de l’évolution technique humaine. Pour Guizot, le progrès est linéaire et ne connaît qu’une possibilité d’évolution. Les sociétés humaines commencent à l’état de tribus, puis se développent en créant des villages, des villes, des infrastructures, et, enfin, l’État bourgeois européen, pinacle de la civilisation. Guizot envisageait bien qu’il existât d’autres formes plus abouties d’organisation sociale, mais elles tendraient nécessairement à l’amélioration de la condition humaine, dans un modèle résolument optimiste. Le schéma de Guizot, grand professeur de la Sorbonne, fut partagé et repris par la plupart des universités européennes et s’enkysta durablement dans nos esprits. Encore aujourd’hui, le musée du Quai Branly parle de « cultures premières » et d’« arts premiers », alors que les cultures traditionnelles africaines, océaniennes ou amazoniennes ne se sont pas figées à un état primitif. Elles ont adopté des formes en renouvellement constant et adaptées à leurs conditions de vie.

Civilization adopte clairement le schéma de Guizot : non seulement les technologies sont linéaires, de celles jugées les plus « simples » aux plus « complexes » (en oubliant que, par exemple, les sociétés amérindiennes ont inventé l’administration sans avoir inventé la roue…), mais encore, à partir de l’ère industrielle, les villes s’uniformisent sur le modèle européen. Car Civilization voit plus loin que Guizot et intègre les idées de la « mondialisation heureuse » et de la « fin de l’histoire », deux concepts datant des années 1980 et 1990. La mondialisation heureuse pose la prémisse non démontrée que l’augmentation des échanges mondiaux libéralisés et des interconnexions améliorera mécaniquement les conditions de vie de tous les humains connectés. Tandis que la fin de l’histoire prêche que la chute des régimes autoritaires tendra à renforcer les démocraties et le rôle de l’Organisation des Nations Unies (ONU), jusqu’à obtenir une société mondiale, démocratique, heureuse et coopérative, appuyée sur les idéaux libéraux. L’histoire prendra alors fin, car les conflits seront tous gérés au sein de l’ONU, sans besoin de guerre. Ces deux idéologies sont désormais globalement abandonnées, puisque l’histoire a récemment prouvé leur vacuité.

Toutefois, elles sous-tendent clairement tout le gameplay non-belliciste de Civilization. La victoire diplomatique consistant à former un congrès mondial suffisamment mûr pour se doter d’un chef renvoie à la « fin de l’histoire » (c’est d’ailleurs la fin de l’histoire du joueur). La victoire technologique suppose que le progrès ne s’arrêtera jamais de progresser de manière linéaire, jusqu’à ce que les humains soient capables de coloniser l’espace. La victoire culturelle est une représentation, par le gameplay, de l’uniformisation des cultures sous la pression de la mondialisation et des industries culturelles calquées sur celle des Etats-Unis. Laquelle véhicule l’idée que, lorsque chaque peuple aura été américanisé, la paix viendra de l’unification des mœurs (!). Toutes ces conditions de victoire semblent avoir été dérivées du corpus idéologique européen contemporain, et, même, plus précisément, du corpus états-unien, car la théorie de la fin de l’histoire n’a jamais vraiment pénétré la culture européenne, les intellectuels européens la jugeant trop manichéenne. Elles portent des représentations positives de l’humanité (dont on suppose qu’elle puisse sans cesse s’améliorer et trouver une paix mondiale), mais des représentations, à vrai dire, profondément impérialistes. Le constat de la réussite des empires européens, qui ont conquis cinq sixièmes du globe et ont, ensuite, remodelé les cultures à leur image, pousse Civilization à en adopter le corpus idéologique dans son entièreté et à en dériver des lignes de gameplay. Or, cet impérialisme occidental n’a pas été un pique-nique joyeux. Depuis l’extermination des Amérindiens par les Espagnols jusqu’au pilonnage par les Américains des ports japonais pour les forcer à adopter le libre-échange, les empires mondialisés se sont d’abord construits grâce à la violence et aux armes.

Course aux armements et impérialisme militaire

L’armement des nations joue un rôle important dans toute partie de Civilization : une course aux armements multilatérale s’opère pour éviter de se faire envahir, ou, au contraire, menacer les autres joueurs. Cette course contraint à améliorer la technologie de ses unités en permanence, afin de ne pas être laissé en arrière. De prime abord, on pourrait croire que c’est là une réalité historique positive ; après tout, la première guerre mondiale, la seconde et la Guerre froide n’ont-elles pas montré que le monde entier pouvait rentrer dans une spirale de course aux armements ? Ce serait voir l’histoire non seulement sur le très court terme (un siècle) et d’une manière trop schématique. S’il est vrai que la course aux armements est désormais pratiquée par toute nation moderne, il n’en a pas toujours été ainsi et, surtout, on peut dater très précisément la naissance de ce climat militariste.

La course aux armements et la paranoïa militariste trouvent leur source dans deux guerres endémiques européennes médiévales. D’une part la Reconquista, croisade permanente des ibériques chrétiens contre les royaumes musulmans implantés dans la péninsule depuis le VIIIe siècle, d’autre part la guerre dite de Cent Ans, mettant aux prises les différentes composantes du royaume de France et le royaume d’Angleterre. Ces deux guerres endémiques ont accouché de sociétés qui n’étaient plus seulement portées à la guerre, mais structurées par elle, jusqu’à modeler les manières de penser et de se comporter des habitants. Prenons le cas des Français (habitants de l’île-de-France) du XVe siècle, empêtrés dans des guerres civiles sans fin (1400-1407 ; 1411-1435 ; 1445 ; 1468-1477…). Il est frappant de voir que tout bon voyageur français de cette époque, arpentant des pays étrangers, n’est ni touché par les paysages, ni par les coutumes locales, encore moins par les arts ou la nourriture du terroir. Ce qui intéresse les Français, ce sont les capacités de défense du lieu qu’ils visitent. On les voit s’extasier devant l’épaisseur des murailles, la stature des soldats, la qualité des serpentines, l’étroitesse des cols à défendre. Les bombardes deviennent également un des cadeaux diplomatiques les plus prisés entre princes, tandis que l’idéal chevaleresque se décale insensiblement du modèle courtois du XIIe siècle vers un modèle viriliste. Geoffroy de Charny, grand chevalier du XIVe siècle, explique ainsi que piller des villages, brûler de églises et violer les femmes des voisins rapproche du salut chrétien, car c’est là ce que Dieu a décidé qu’un chevalier devait faire. Un peu plus tard, on voit les chevaliers du XVe siècle débattre de l’honneur comparé de se faire décapiter par un boulet de canon ou par une épée. Ils déplorent la mort du comte de Salisbury, en 1429, dont la tête et le casque se trouvent fusionnés par l’impact d’un boulet, lui délivrant ainsi une mort sans gloire.

Mais surtout, cette culture militariste pousse les Français, Espagnols, Anglais et Bourguignons, à sans cesse innover et chercher de nouvelles manières de réduire l’ennemi à un petit tas de chair. L’arme à feu européenne est ainsi utilisée pour la première fois par les Anglais à la bataille de Crécy (1346). Le modèle est récupéré par les autres factions, raffiné, jusqu’à donner des bombardes plus hautes qu’un homme crachant le tonnerre à chaque coup et, à l’autre bout du spectre, de petites couleuvrines portatives capables de transpercer plusieurs hommes en armure (à partir de 1420). En entrant dans d’autres régions, ces cultures rompues à la guerre totale déstabilisent des cultures pratiquant des guerres moins dures, plus ritualisées (Amériques pour les Espagnols, Italie pour les Français). Le topos des Aztèques terrorisés par les canons et les chevaux espagnols est bien connu (XVIe siècle). À cela s’ajoute le fait que les Aztèques avaient une conception rituelle de la « guerre des plumes » : toute personne tombée à terre s’avouait prisonnière. Les Espagnols, au contraire, luttaient jusqu’au dernier souffle et par tous les moyens, sans rechigner à quelque trahison. On connaît généralement moins le choc psychologique terrible subi par les Italiens lorsqu’ils ont vu déferler sur eux des Français gorgés de combativité. Les batteries de canons françaises tranchaient drastiquement avec les guerres plus ponctuelles des Italiens, entre bandes de condottieres interposées. Tranchait également la propension française à tout brûler et piller, sans discernement et sans respect des interdits chrétiens. Face à ces cultures pratiquant une guerre totale, les attaqués devaient s’adapter (Italiens) ou disparaître (Aztèques).

C’est bien par un effet de contamination et de réaction que la plupart des cultures ont dû se soumettre (colonisation) ou s’adapter (Japon, Éthiopie) à la puissance militaire développée par les cultures européennes militaristes. Le contraste est particulièrement frappant lorsqu’on analyse l’armement pratiqué au Japon. Les Japonais ont intégré par deux fois des armes à feu à leur arsenal sans juger utile de les raffiner. La bouche à feu chinoise resta utilisée sporadiquement au Japon jusqu’au XVIIe siècle, sans qu’il ne soit jugé utile de l’améliorer. Puis, avec l’introduction des armes à feu européennes par les Portugais, les daimyo japonais intégrèrent ces mousquets à leurs troupes et effectuèrent un transfert technologique (des artisans japonais apprirent leurs techniques de fabrication). Toutefois, de 1600 à 1850, encore une fois, l’art des armes à feu stagna au Japon. Ce n’est pas que les Japonais fussent incapables d’en développer de meilleures, c’est bien qu’ils n’en ressentaient pas le besoin. Dans les cultures faites de fiefs très dispersés, où l’équilibre des forces est sans cesse renégocié, par la guerre, la parole ou le mariage, l’art de la guerre n’est qu’une composante de la diplomatie parmi d’autres. Il ne s’agit pas de détruire l’adversaire, mais de l’inciter, par la violence, à se rendre à ses arguments. Dominique Barthélémy, qui a théorisé ce type de relations sociales, l’appelle le « milieu visqueux de la féodalité », car toute action suscite des réactions d’autres agents, jusqu’au retour à un équilibre de forces stable. Dans ces conditions, l’idée d’atomiser son adversaire, de le réduire en poussière, ne fait pas sens. Car l’adversaire est bien plus un partenaire diplomatique qu’un ennemi mortel. Ainsi, ce n’est que sous la pression des Britanniques et, surtout, des États-Unis, au milieu du XIXe siècle, que les Japonais furent forcés de refonder leurs rapports sociaux (ère Meïji) afin de résister à la pression et d’entrer dans une course aux armements très rapide, jusqu’à créer une armée à l’européenne et vaincre les Russes au début du XXe siècle.

De tout cela, il faut retenir l’idée que la course aux armements et la volonté de rayer toute une nation de la carte n’est en rien implantée dans la nature humaine. C’est un produit récent de notre histoire, qui naît il y a environ six cents ans en Europe et n’a achevé sa globalisation qu’au XXe siècle. Toutefois, Civilization, pour des raisons de gameplay (qui voudrait jouer à un jeu de stratégie où les unités militaires stagneraient ?), préfère essentialiser l’idée de la course aux armements et la présente comme un élément consubstantiel du genre humain.

Conclusion : l’imaginaire européen au fondement du gameplay de Civilization

Civilization a le mérite d’avoir réussi à synthétiser une matrice culturelle dans des boucles de gameplay. Voilà une ambition bien difficile à atteindre que de transformer les idéologies d’un peuple en expériences de jeu. En nous présentant des nations conquérant un environnement abondant, à couteaux tirés entre elles, mais parvenant parfois à dépasser leurs différences pour tendre vers une mondialisation heureuse, Civilization capture toutes les lignes de force de la pensée européenne du XXe siècle. Et ce jusqu’à l’essentialisation des cultures, chère aux empires coloniaux du premier XXe siècle, perçues comme ayant des caractéristiques immanentes traversant les époques (les bonus de faction). Reprocher un tel positionnement à Civilization serait quelque peu déplacé ; je le constate, et me réjouis plutôt de voir qu’il est possible de produire un bon jeu à partir de prémisses idéologiques façonnés par l’histoire.

La synesthésie dans le gameplay

La synesthésie dans le gameplay

Alors ministre de la culture, Frédéric Mitterrand considère que le jeu vidéo s’est progressivement inscrit au carrefour de disciplines créatives aussi vastes que variées, du graphisme au cinéma, de la programmation à l’histoire, tout en passant par l’architecture et la photographie.” Cette définition agglomérante de l’esthétique vidéoludique est intéressante car elle illustre ce qui peut sauter aux yeux d’un non-joueur : le jeu vidéo semble, vu de l’extérieur, être un ensemble d’esthétiques empilées (graphismes, musiques, architecture des niveaux, mise en scène, dialogues…) qui, bon an mal an, cohabitent sans s’articuler.

C’est toutefois ignorer le coeur de ce qui fait le jeu vidéo : le gameplay et la dimension interactive. Or, parce qu’il est l’organe qui ordonne toutes les autres esthétiques et génère l’identification, le gameplay devrait être le principal objet d’étude quand on parle d’esthétique du jeu vidéo. A vrai dire, on peut même se demander si le gameplay peut être défini par la rencontre et la mise en cohérence des esthétiques.

Tout jeu vidéo pratique la synesthésie

Qu’est-ce que le terme anglais gameplay désigne précisément ? Concaténation des mots game (jeu) et play (expérience de jouer), le gameplay est l’expérience vécue par le joueur au contact de la jouabilité. Il peut être mis en rapport avec la capacité du jeu à créer une identification, et donc à générer l’illusion d’immersion par la mobilisation des sens. Concrètement, le gameplay se construit en deux temps. Le joueur est d’abord investi par la nécessité d’interagir pour mettre en mouvement le jeu. Cette interaction est enregistrée par les contrôles, c’est à dire l’ensemble des règles qui régissent, dans le code, la gestion des entrées. Ces contrôles ayant été traités, des feedbacks sont émis vers le joueur qui lui donnent une sensation d’agency. Ces feedbacks peuvent être visuels (sprites qui se déplacent), auditifs (sons ou musique évolutifs), tactiles (vibrations). Le gameplay est donc un aller-retour de stimuli entre le joueur et la machine, et on peut alors poser l’équation : contrôles + feedbacks = gameplay.

Il faut ici noter que, même dans son déroulement le plus simple, le gameplay mobilise toujours plusieurs sens de manière concomitante. Ainsi, dans Pong, lorsque nous manipulons le potentiomètre de la manette, notre corps enregistre une sensation tactile et mécanique, tandis que, au même moment, notre oeil capte un feedback visuel : celui du mouvement de notre rectangle-personnage. Ces deux sensations non seulement se déploient en même temps, mais sont analysées par le joueur comme une chaîne de causes et d’effets : on tourne le potentiomètre donc la palette bouge. Elles s’enrichissent alors l’une l’autre d’un sens supérieur : celui de la liberté de mouvement, de l’emprise de l’homme sur son environnement, de la prise en main de son propre destin (celui de perdre ou de gagner). C’est pourquoi on peut parler d’une synesthésie du gameplay qui se retrouve dans absolument tout jeu vidéo et participe de leur définition.

Terme composé de “syn-” (avec, ensemble) et “esthétique” (expérience véhiculée par les sens), la synesthésie désigne une expérience qui est véhiculée par l’association de plusieurs sens plutôt qu’un seul. Pour qu’il y aie synesthésie, il ne suffit pas d’avoir deux moyens esthétiques juxtaposés, comme, par exemple, un film qui cumule musique et image. Il est nécessaire que la mobilisation commune de ces sens crée une expérience supérieure a la somme de leurs expériences particulières. C’est à dire que, pour rester dans la formulation mathématique (qui a le mérite d’être plus claire qu’une longue phrase) : synesthésie > esthétique 1 + esthétique 2. Si on considère l’exemple du cinéma, la juxtaposition dans un blockbuster de musique de Hans Zimmer et d’une scène d’action n’est pas synesthétique, car ces deux esthétiques semblent cohabiter sans s’unir, chacune poursuivant ses propres buts. Au contraire, on pourrait soutenir que l’utilisation de la musique dans le film Il buono, il brutto, il cattivo de Sergio Leone, parce qu’elle s’associe harmonieusement avec les plans et soutient leur esthétique, crée une expérience synesthétique chez le spectateur supérieure aux deux expériences que seraient l’écoute de la musique seule ou la vision du film sans musique.

La reprise de l’étude du gameplay au regard de la synesthésie semble alors révéler une idée fondamentale : la synesthésie est inhérente au jeu vidéo. La vision du personnage qui se meut est en effet toujours augmentée du sens que c’est le sujet qui le fait bouger, qui s’investit dans ce personnage par le toucher, qui procède à une identification constante. Le jeu vidéo peut donc être compris comme une synesthésie à deux degrés : toucher + vision = agency. Et ceci semble se confirmer pour tout jeu dont les contrôles ne sont pas cassés ou saccadés et donc dont le gameplay est satisfaisant.

La transformation des esthétiques en art par le gameplay

A partir de là, on ne peut plus décemment considérer le jeu vidéo comme un agrégat d’esthétiques diverses. Il devient évident que le gameplay, parce qu’il est la source synesthétique du jeu vidéo, doit être placé au centre de la réflexion. Les questions qui viennent à l’esprit sont alors : est-ce que le gameplay peut mobiliser plus de deux sens ? Mais surtout, est-ce que cette synesthésie peut tant charger de sens les différentes esthétiques qu’elle aboutisse à l’émergence d’une esthétique artistique unifiée ?

Pour réfléchir à ces questions, considérons le jeu Rez (Dreamcast, PS2, 2001). Pris séparément du reste, son gameplay est un shoot them up 3D assez classique, vu à la troisième personne. La particularité de Rez est que les contrôles ne génèrent pas seulement systématiquement des feedbacks visuels (personnage en mouvement) mais également des feedbacks auditifs. Le joueur est en effet invité à construire la musique du jeu par l’interaction avec les ennemis et le niveau. Le joueur, par les contrôles, produit ainsi deux esthétiques : l’une visuelle et l’autre auditive, qui sont à la fois concomitantes et complémentaires. Il y a donc production d’expériences sensibles associées qui, mises ensemble, ne forment plus qu’une esthétique supérieure. On peut ici parler de synesthésie à trois degrés : sont mobilisés le toucher (manipulation de la manette), le visuel (mouvement du personnage, ciblage des ennemis, mouvement du niveau) et l’auditif (musique générée intégralement par l’action du joueur). Cette synesthésie contrôlée par le joueur crée un sentiment fort qui peut confiner à l’idée esthétique ou, du moins, dépasser l’expérience d’une synesthésie à deux degrés.

Nous sommes ici en présence de l’utilisation raisonnée d’un outil artistique. Puisque la synesthésie a la capacité d’augmenter la densité de sens de plusieurs esthétiques, elle peut aller jusqu’à générer une idée esthétique si cette densité dépasse un certain seuil. Cet outil, bien utilisé, est une voie pour le jeu vidéo de transmission artistique. On voit alors, par l’exemple de Rez, que le jeu vidéo peut tendre à mettre en ordre des esthétiques éparses (musique, graphismes, etc.) par le gameplay synesthétique. Le gameplay synesthétique est donc l’ossature qui assigne à chaque esthétique sa place et son importance, chacune étant mise au service d’une esthétique plus grande qu’elles. Evidemment, ceci ne peut s’observer que dans une poignée de jeux qui ont pris le parti de mettre le gameplay et la synesthésie au centre du processus de création. A contrario, un jeu comme Assassin’s Creed Unity (PS4, XBOX one, PC, 2014) est un bon exemple de juxtaposition d’esthétiques qui ne s’associent jamais. La musique est utilisée, comme dans un blockbuster, pour qualifier la séquence sans en découler. Les contrôles sont limités à une manipulation basique du personnage (combat à 1 bouton). Les graphismes sont de qualité dans l’objectif d’être jugés séparément du reste, comme un critère d’achat. Aucun de ces éléments n’a d’emprise sur les autres et aucune association esthétique ne se produit.

Force est alors de constater que, si la synesthésie est un outil puissant de production artistique dans le jeu vidéo, car elle augmente le sens de ses esthétiques, elle n’est que peu employée (et jamais dans les grandes productions dites AAA).

L’impossibilité à dire la synesthésie dans les critiques de jeux vidéo

Le concept de synesthésie, alors qu’il n’est pas complexe, n’apparaît jamais dans le catalogue des idées des critiques de jeux vidéo. Ceci est dû à la structure même de ces critiques. Se considérant plutôt comme des “testeurs”, et donc un guide d’achat pour consommateurs, les journalistes-critiques ont organisé un système de notation par critères pour qualifier les jeux vidéo. Cette notation a l’effet pervers d’exploser et de segmenter les esthétiques. Comment serait-il possible que des testeurs qui doivent remplir, comme des entités aliénées entre elles, les cases “graphisme”, “musique”, “gameplay“, soient sensibles à l’articulation de ces éléments ? Parce que leur méthode découpe et isole ces esthétiques et dirige (voire détermine) la teneur de leur expérience face au jeu, il est tout à fait improbable que les testeurs perçoivent une synesthésie lorsqu’elle existe.

Peut-être serait-il temps que les jeux ne soient plus critiqués selon la méthode des sèche-linges, mais plutôt selon celle du cinéma ou de la littérature. Il est en effet étrange de vouloir dresser une liste de critères quantifiables et dits objectifs pour qualifier un objet culturel qui a une cohérence interne. L’expérience face aux oeuvres de l’esprit n’est pas la somme des expériences de ses composantes, mais est unique et cohérente. Par définition, une oeuvre de l’esprit ne peut pas être consommée comme un cheeseburger et n’a pas de but utile comme un outil.

La notation a par ailleurs l’effet pervers de valoriser l’agréable sur l’artistique. Afin d’avoir un critère à noter, les testeurs se posent en effet la question du divertissement apporté par le gameplay, les musiques, les graphismes (est-ce qu’on passe un moment sympathique ?) bien plus que celle de leur densité esthétique et de leur articulation pour générer une esthétique lourde de sens. Il y a donc un vide critique quasiment total qui entrave, par répercussion, l’émergence de jeux vidéo artistiquement valables. Les créateurs qui ont besoin d’un retour sur investissement et sont soumis à l’oeil froid et quantificateur de Metacritic ne peuvent pas prendre le risque d’avoir une mauvaise note. De plus, le fait même qu’ils savent qu’ils sont notés par critères les poussent à fabriquer les esthétiques de manière cloisonnée : la musique est construite à part du gameplay, lui-même construit à part des graphismes, pour maximiser la qualité intrinsèque de chacun. Cette méthode de production empêche toute émergence d’art vidéoludique, puisque l’outil d’articulation des esthétiques autour du gameplay est exclu du processus de production.

Il apparaît donc nécessaire, pour qui voudrait stimuler le jeu vidéo dans la voie de l’art et de la densité esthétique, de fonder une critique globale opposée à la critique segmentante actuelle.

Conclusion

La synesthésie apparaît comme un des éléments constitutifs de l’expérience vidéoludique. Si elle est présente dans tous les jeux vidéo sous la forme toucher + vision = agency, ce n’est que lorsque les créateurs s’en saisissent comme d’un outil artistique qu’elle peut amener le jeu vidéo à exprimer une idée esthétique. Il s’agit donc d’un outil esthétique puissant, mais peu exploité, notamment parce que la critique et les créateurs sont enfermés dans une définition de l’esthétique vidéoludique comme d’un ensemble de critères plutôt que comme d’une expérience cohérente. Il serait pourtant fécond de voir se développer l’idée que la musique n’est pas là pour accompagner l’expérience mais peut être organisée, manipulée, maîtrisée par le gameplay et former avec lui une puissante synesthésie.

Ludique et artistique : une contradiction ?

Ludique et artistique : une contradiction ?

Dans un article du 16 avril 2010 intitulé “Les jeux vidéo ne seront jamais un art“, le critique américain Roger Erbert évoque deux idées importantes, sans les formuler formellement, qui, selon lui, retiennent le jeu vidéo de devenir “un medium artistique”. Il pose d’abord, avec une grande justesse, l’erreur profonde de définition de son interlocutrice qui défend les jeux vidéo comme “art”. Sa définition repose sur celle, médiocre, de Wikipedia, qui confond l’agréable et l’art. Roger Erbert développe alors sa propre définition de l’art qui s’articule autour d’un dépassement de la pensée d’Aristote et qui l’amène à une phrase quasi-kantienne, mais non-aboutie : “mon idée est que l’art se construit à mesure qu’il améliore ou altère la nature grâce au passage de ce que l’on peut appeler l’âme de l’artiste, ou vision.” C’est accepter la définition décrite dans mon article précédent qui pose que l’art est une transformation du réel par le créateur afin de donner l’intuition d’idées esthétiques qui dépassent la matière de l’oeuvre (c’est ce que Roger Erbert nomme “amélioration de la nature”). Mais ce qui m’intéresse aujourd’hui est sa deuxième critique : la question de l’interactivité et de la vocation ludique des jeux vidéo. A la fin de son article, Roger Erbert se demande si la revendication des joueurs à faire entrer les jeux vidéo dans les arts n’est pas qu’un moyen de légitimation de leur pratique, face à une société qui les méprise. Il affirme alors qu’il vaut mieux jouer sans se soucier du reste, car c’est là la vocation du jeu vidéo : s’amuser par l’interaction avec la machine.

L’interactivité est-elle une limite à l’expression esthétique ?

Cette position est extrêmement intéressante car elle soulève une limite de la mise en art des jeux vidéo : leur vocation ludique, réalisée par l’entrée d’inputs, poursuit un but diamétralement opposé à celui d’une oeuvre d’art, qui est de transmettre une idée par la sensibilité. On note d’ailleurs que tous les media artistiques reconnus comme tels procèdent non pas par l’action mais par la contemplation : que ce soit au cinéma, en peinture, en musique ou en littérature, le public est avant tout récepteur de la charge esthétique et n’est en position d’acteur que de manière marginale. Le public se fait certes acteur par l’interprétation critique et l’imagination personnelle, mais ce n’est que dans un second temps. A contrario le jeu vidéo met en position d’acteur tous ceux qui se saisissent de la manette, depuis son écran titre qui demande d’appuyer sur start jusqu’au dernier input qui sanctionne la fin de l’expérience vidéoludique, par le game over ou la complétion du jeu. Il y a donc une différence fondamentale de moyens entre le jeu vidéo tel qu’il existe aujourd’hui et les différentes activités qui produisent régulièrement des œuvres d’art.

Mais alors, l’interaction ne peut-elle produire que de l’amusement ? Et comment le produit-elle ? Pour comprendre ce second point, il faut bien voir que l’interactivité permet au jeu vidéo d’être un simulateur de libre arbitre et que c’est en cela qu’il procure des sensations agréables et amusantes. On utilise le terme de “libre arbitre”, ici, dans le sens que prête la recherche américaine au terme d’agency, qui n’est jamais qu’une adaptation néo-libérale de l’idée de liberté autonome d’action de Hobbes dans le Léviathan. Les jeux vidéo organisent la liberté d’action du joueur par leurs feedbacks et par la simulation d’une emprise du joueur sur le destin du monde virtuel. La reproduction de la liberté physique dans le jeu vidéo vise à ce que le joueur oublie les règles arbitraires placées par les développeurs. La grande différence entre un bon jeu tel que Metal Gear Solid 3 et un mauvais jeu est ainsi que, dans le premier, le joueur a l’illusion de reproduire la liberté d’action qu’il pourrait exercer sur le monde physique. Dans MGS 3, le joueur-acteur ne se contente pas de tuer des marionnettes de polygones, mais peut les menacer, les intimider, les attraper, les dépouiller, les utiliser comme bouclier, les surprendre, les leurrer, les manipuler. Il peut également évoluer dans l’environnement de nombreuses façons : se cacher, monter aux arbres, se coucher dans l’herbe, courir, aller quasiment où bon lui semble. Toutes ces capacités d’action, prévues par les développeurs, se transforment en une illusion de libre arbitre qui procure une sensation de bien être et d’amusement. Et c’est bien l’interactivité déployée dans toutes les directions qui permet la construction de cette liberté vidéoludique. On constate d’ailleurs que la frustration de joueurs chevronnés provient souvent des limitations arbitraires de liberté d’action, ainsi que l’explique parfaitement Totalbiscuit dans sa vidéo Modern Military Shooters in a nutshell.

Ainsi, il paraît certain que l’interactivité est le moyen principal de construction de la densité ludique des jeux vidéo. Elle vise donc l’amusement et l’agréable, ce qui est bien différent de la vocation artistique. En cela, Roger Erbert touche un point véridique pour la plupart des jeux vidéo et récuse parfaitement son interlocutrice qui est dans la confusion des termes. Il ne faut cependant pas ici confondre les moyens et les buts : a priori, ce n’est pas parce qu’on constate que l’interactivité construit le ludique qu’elle est exclusive au ludique. Si l’interactivité est le moyen du ludique dans les jeux vidéo, est-il possible de la voir devenir le moyen de leur charge esthétique ?

L’identification, outil esthétique puissant

Pour répondre à cette question, il faut développer le concept d’embodiment qui a été intégré à la réflexion sur les jeux vidéo par les game studies. Hérité de la psychologie cognitive, cette théorie considère que l’esprit est étroitement lié au corps et est même façonné par lui. Dans les jeux vidéo, elle permet d’expliquer les effets de personnification du joueur à son avatar. Il ne faut pas la saisir comme une “projection de l’esprit dans l’avatar, nouveau corps”, car le corps et l’esprit ne peuvent être dissociés et sont, dans cette théorie, imbriqués. Il faut plutôt saisir que les signaux extérieurs qui construisent notre réalité sont traités par le cerveau de la même manière qu’ils soient physiques ou virtuels. Par exemple, si un oiseau passe devant votre œil, l’image qu’il imprime sur votre rétine et que le cerveau transforme en concept “oiseau” n’est pas une représentation parfaite du réel mais est la brique élémentaire qui construit votre réalité interprétée par votre esprit. Vous ne voyez donc pas cet oiseau dans sa matérialité, mais vous voyez une image qui le représente. Ainsi, toute perception est construite par le sujet et est donc subjective ; c’est l’intuition originelle de Descartes qui a été approfondie par Kant puis Henri Poincaré. A partir de là, que l’image d’oiseau soit issue de chair, de pixels ou de polygones, le cerveau le traite de la même manière : il obtient l’étiquette oiseau, avec la distinction évidente : cet oiseau-ci est physique, celui-là est virtuel. L’embodiment dans le jeu vidéo est donc l’identification par notre cerveau d’un environnement dont il traite les signaux comme s’il s’agissait de ceux du monde physique, c’est pourquoi je parlerai d’identification. Ce n’est donc pas que l’esprit se projette dans l’avatar, mais bien que l’esprit transforme l’environnement virtuel en réalité. Ce n’est pas nous qui allons au jeu, c’est le jeu qui s’impose à nous par l’envoi de signaux qui sont traités par le cerveau avec les mêmes outils que lorsqu’il traite le monde physique. L’esprit identifie ces pixels comme “champignon”, “sol”, “ciel”, “moi”, etc., ce qui suffit à créer l’immersion, grâce à la confusion des traitements cognitifs entre signaux virtuels et physiques.

Ceci étant posé, on s’aperçoit que l’identification dans les jeux vidéo est celle qui permet la plus grande mobilisation des sens. L’identification n’est en effet possible que par la présence concomitante de signaux visuels (les graphismes), auditifs (le son) et tactiles (la manette). On note ici que, parce que l’on n’a pas les mêmes attentes entre un film et un jeu vidéo, l’identification ne suit pas le même processus : alors qu’il est tout à fait acceptable qu’un film ne soit pas interactif, il est tout à fait frustrant qu’un jeu vidéo ne le soit pas. On accepte donc de s’identifier à un film sans interaction, car cela ne fait pas parti du contrat filmique, mais pas à un jeu vidéo sans input, puisqu’il ne remplit pas cette attente du contrat ludique. Ainsi l’identification dans le jeu vidéo mobilise plus de sens que celle dans le cinéma, qui en mobilise déjà plus que l’identification littéraire, uniquement visuelle. Mais ce qu’ajoute l’identification vidéoludique d’essentiel est l‘identification du moi à un avatar grâce à la prise en compte de la liberté d’action. L’esprit distingue en effet l’image de son propre corps de celle du reste du monde par le fait qu’il peut la bouger volontairement. Puisque les jeux vidéo permettent, par l’interactivité, de bouger un avatar, l’identification avatar = mon corps est bien plus aisée que dans le cinéma ou la littérature. Cela ne dresse pas de hiérarchie entre ces processus d’identification, mais montre simplement que l’interactivité crée une identification nouvelle qui doit être utilisée par le créateur.

L’identification est en effet à la base des méthodes de production esthétique justement parce qu’elle est mobilisatrice de sens. Puisque l’art consiste à transmettre une idée par la sensibilité, l’implication des sens est nécessaire dans la production artistique. Et on comprend, au terme de ce développement, que l’identification est un outil esthétique puissant puisqu’elle rend disponible les sens à la réception d’une idée.

La promesse esthétique du jeu vidéo

Mais est-ce que cet outil a déjà été utilisé dans le jeu vidéo dans le but de créer une oeuvre à forte densité esthétique, et donc une oeuvre d’art ? Car il n’est pas tout de démontrer que l’interactivité peut être au service de l’esthétique grâce à l’identification, encore faut-il savoir si ce moyen a été utilisé dans le but de faire art. On peut facilement trouver des exemples d’identification forte ayant pour but non pas l’artistique mais la peur. Amnesia est par exemple une réussite dans le domaine de la mobilisation des sens et de l’identification du corps du joueur à un avatar faible, vulnérable et en danger permanent, ce qui produit de la peur. On a vu qu’il y avait de nombreux exemples d’identification à but ludique. L’identification à but érotique est également convenablement représentée dans le jeu vidéo. En ce qui concerne l’identification à but artistique, force est de constater qu’elle est la plupart du temps incomplète, pas portée à son terme ou absente. Ceci ne signifie pas une incapacité des jeux vidéo à faire art, mais plutôt une maladresse dans leur utilisation de l’identification et du gameplay. Tous les outils sont cependant présents, et quelques jeux ont des moments esthétiques denses qui touchent du doigt l’artistique.

L’identification artistique dans les jeux vidéo sonne donc aujourd’hui comme un horizon et une promesse, un possible en phase d’exploration, car le medium est jeune. L’interactivité est cependant un moyen de mobilisation des sens unique aux jeux vidéo, et donc leur voie d’accès privilégiée vers l’artistique. Le gameplay doit donc être au cœur de l’analyse esthétique des jeux vidéo et est le moyen d’identification le plus intéressant parce qu’il leur est spécifique. J’en veux pour preuve l’essai vidéoludique Passage, qui transmet au joueur une charge esthétique incroyablement lourde vis à vis de la simplicité de ses moyens techniques, grâce à l’identification par l’interactivité. Passage est la promesse que, si un jeu vidéo veut se faire art, il doit s’approprier le gameplay comme outil d’expression esthétique et non pas le marginaliser dans les Quick Time Events.

L’art dans les jeux vidéo : un sujet mal posé

L’art dans les jeux vidéo : un sujet mal posé

Avec la multiplication des expositions dédiées aux jeux vidéo, comme à New York ou à la Cité des Sciences en octobre 2013, les médias véhiculent des phrases à l’emporte-pièce et globalement maladroites, telles que : “Et le jeu vidéo devint un art ” (le Parisien). Ceci est l’exemple d’une pensée qui croit qu’il suffit d’entrer dans un musée pour devenir une oeuvre d’art. Les questions des relations entre l’art et les jeux vidéo et de la capacité d’un jeu vidéo à devenir un objet esthétique sont cependant des sujets intéressants et pertinents, qui méritent l’attention. Trop souvent posées dans les termes naïfs : “Le jeu vidéo est-il un art ?”, ces problématiques perdent de leur intensité et ne peuvent pas mener à une réflexion féconde. Il s’agit ici d’essayer de dépasser cette formulation limitée.

Des pratiques culturelles hétérogènes

Il faut tout d’abord poser que le jeu vidéo est une pratique culturelle au sens le plus simple. Il s’agit bien d’une pratique puisque des acteurs dédient une partie de leur temps à se confronter à l’expérience vidéoludique ; le jeu vidéo fait bien partie de cultures humaines puisqu’on ne naît pas naturellement avec un joypad entre les mains mais qu’il procède d’une construction technique d’abord, sociale ensuite. La culture étant l’héritage non-naturel partagé et transmis par un groupe humain qui leur sert de fonds commun pour communiquer, on peut bien parler de pratique culturelle pour les jeux vidéo.

Si l’on change d’échelle pour s’intéresser à la question de l’homogénéité ou de l’hétérogénéité du jeu vidéo en tant que pratique culturelle, on s’aperçoit rapidement qu’aujourd’hui il n’est plus possible de considérer le jeu vidéo comme une pratique unique. D’abord parce que ses publics et supports ont été démultipliés ces dernières années. Quoi de commun, en effet, entre les expériences d’un cadre supérieur qui joue à Candy Crush dans le métro, d’un acteur qui se nomme lui-même “hardcore gamer” sur Street Fighter 2 ou d’un joueur de Call of Duty ? Nous sommes donc face à des pratiques culturelles variées : les jeux vidéo ne peuvent se concevoir qu’au pluriel.

L’art ne provient pas de supports ou de sujets dédiés

Du fait de cette variété des pratiques, des produits, des publics, il est tout à fait impossible que “le jeu vidéo” soit entièrement et essentiellement “un art”. Mais ceci est vrai d’absolument toutes les pratiques culturelles : le livre, par exemple, n’est pas un art en soi. L’acte de relier des feuilles imprimées de phrases ne constitue en effet pas un moyen systématique de production d’art. Et la variété des livres, qui vont du manuel de cuisine à l’essai philosophique en passant par des romans de qualités inégales, ne permettent pas de dire que “le livre est un art”.

Au XIXe siècle, Baudelaire a d’abord montré que le matériau poétique ne pouvait pas se limiter aux sujets pastoraux traditionnels, libérant ainsi la production artistique de ses limites habituelles. Cette démonstration par la preuve de la variété de l’art a été prolongée par la dérision de Marcel Duchamp, qui a tourné en ridicule le musée comme espace auto-producteur d’art. Ces provocations d’artistes ont contribué à prouver que ce n’est ni le sujet, ni le support, ni le lieu d’exposition qui créent l’oeuvre d’art. Il n’y a ainsi pas de “sujet artistique” : la beauté peut être atteinte autant en parlant de cadavres que de petits oiseaux, et il n’y a pas non plus de “support artistique” : tout support peut être mobilisé par l’artiste pour produire une oeuvre esthétique car ce qui compte n’est pas le matériau mais l’usage qu’en fait le créateur.

Esthétique contre discursif

Si ce n’est ni le sujet, ni le matériau qui discriminent les oeuvres d’art des autres oeuvres, qu’est-ce qui permet de les distinguer ? Si on suit Kant sur ce sujet, et cela semble être une base acceptable pour rester dans la simplicité et avancer, une oeuvre est artistique à partir du moment où elle transmet à son public une “idée esthétique”. En schématisant, cela signifie que le travail de l’artiste augmente les matériaux de sens qui les dépassent et qui ne peuvent pas être exprimés par des concepts renvoyant à la matérialité. Par exemple, un morceau de musique ne peut pas vous figurer “un homme bleu rentrant dans un bar par une petite porte”, mais il peut vous suggérer l’idée du mouvement. L’oeuvre d’art remplit ainsi son but lorsqu’elle transmet à son public une intuition fantôme d’une idée nouvelle que l’on doit ensuite s’efforcer de formuler. La beauté est alors définie comme la capacité à éveiller chez le public une idée esthétique (quelle soit agréable ou non, entendons nous bien qu’une répulsion peut être la manifestation d’une idée esthétique). La critique d’art classique, d’ailleurs, repose sur la recherche des mécanismes qui produisent du beau, c’est à dire qu’elle répond à la question : “comment se fait-il que ce texte-ci provoque une idée esthétique alors que celui-là pas du tout ?”.

Parce que l’idée esthétique passe par la sensibilité et non par le langage, elle est mécaniquement dissoute par le discursif. La compréhension d’un discours organisé se fait en effet par la logique et la raison, qui demandent une certaine mobilisation réflexive. C’est donc parce qu’elles empruntent des chemins de compréhension différents que l’esthétique et le discursif s’annulent l’un l’autre, dans un effet de balancier. Ce constat est subtil et ne doit pas être compris dans le sens d’un vulgaire “si on comprend rien ça veut dire que c’est de l’art”. La compréhension de l’idée esthétique emprunte simplement des chemins différents de la compréhension du discours logique : celui des sens et non de la raison.

Reformuler le problème : quels moments esthétiques dans les jeux vidéo ?

Tout cela conduit à penser que la question “Le jeu vidéo est-il un art ?” est terriblement mal posée.

D’abord parce que la pratique artistique n’a cure du support sur lequel elle s’exerce puisqu’il s’agit d’une méthode de transformation du réel : tout support peut devenir art. Mais surtout, très peu d’oeuvres “sont” art de manières essentielle et totale. Parce que l’artiste est un humain faillible, ses oeuvres sont quasiment toujours inégales et inabouties. Des passages de l’oeuvre peuvent générer une intuition, d’autres tomber à plat, d’autres y arriver imparfaitement. Les oeuvres portent, à vrai dire, une certaine densité de moments esthétiques, c’est à dire de passages qui éveillent une intuition chez le public, et c’est à partir d’une densité forte que l’on reconnaît le terme d’art à une oeuvre. A la vue de tout cela, on peut admettre qu’il est vraisemblable qu’un jeu vidéo puisse, à un moment de son déroulement, atteindre une charge esthétique par ses moyens propres.

Or, Le jeu vidéo offre la particularité de proposer un nouveau rapport à la sensibilité : le gameplay, lié au toucher, et qui n’est pas exclusif de l’ouïe et de la vue, également mobilisés. Il s’agit donc d’un support a priori intéressant pour le travail artistique, puisqu’il mobilise un sens quasiment absent de l’art habituel. On peut penser que ceci permet de nouvelles formes esthétiques, un nouveau rapport à ce qu’est l’art, sans préjuger de son exploitation effective dans les jeux existants. Cette première idée ouvre un chemin de recherche et l’ambition est justement de vérifier, par l’analyse, si des jeux vidéo ont été capables de se constituer des moments esthétiques.

Ainsi, la question pertinente ne peut pas être “le jeu vidéo est-il un art ?” mais plutôt “quand et comment le jeu vidéo parvient-il à générer des moments esthétiques ?”. Et “y a-t-il des jeux vidéo de forte densité esthétique ?” C’est sur ces questions que l’on tentera de réfléchir.

Qu’est-ce que le jeu vidéo ?

Qu’est-ce que le jeu vidéo ?

Bien débuter l’étude d’une pratique culturelle nécessite de la définir clairement et largement avant même d’entreprendre quelque remarque précise que ce soit, car c’est sur des fondations solides que l’on construit les plus hautes tours. Un objet mal défini, mal appréhendé ou mal perçu entraîne nécessairement une pensée branlante que l’on rafistole sans cesse de mots inutiles. On reconnaît en effet une bonne définition à cela qu’elle est simple et ramassée en quelques termes. L’expansion en périodes interminables, qui roulent sur dix lignes, pour aboutir à une définition indigeste est la marque d’une pensée qui glisse sur l’objet qu’elle tente de saisir. Ce que l’on conçoit bien se dit clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément.

Il ne s’agit donc pas dans ce propos liminaire d’assommer le lecteur, mais de parvenir, à partir de la recherche existante, à une définition convenable, simple et admissible des termes : « jeu vidéo ». De cette définition, il sera naturel (et même stimulant) de voir naître des cas limites qui la bousculent et tentent de la faire vaciller. C’est par la qualité de travail sur ces cas aux frontières du champ d’étude que l’on teste la valeur d’une idée, qu’on l’améliore ou la récuse. On ne me prêtera donc pas l’ambition de poser en quelques mots une vérité cristalline inattaquable. J’invite bien au contraire chacun à attaquer et faire tomber mes idées par la force des leurs, car c’est dans la confrontation des thèses que la recherche progresse, et non pas dans le consensus.

Je ne compte pas non plus me prêter au jeu assez vain de prouver la légitimité de mon objet d’étude. Si j’étudie les jeux vidéo, c’est en effet pour le plaisir de réfléchir sur une pratique que j’apprécie et pas pour la légitimer aux yeux de mes pairs habituels, en université. J’ai par ailleurs la conviction que c’est la production d’une recherche de qualité qui produit, mécaniquement, une légitimation du sujet d’étude. Les longs discours sur la valeur culturelle des jeux vidéo n’ont donc pas de valeur en soi et ne peuvent convaincre que ceux qui le sont déjà.

Un champ d’étude à défricher

Ceci étant dit, il me semble que l’effort de définition du terme « jeu vidéo » rencontre tout d’abord le problème qu’il n’a, jusqu’ici, que rarement été mené. Il existe de nombreuses recherches sur le jeu en général, mais le jeu vidéo est avant tout l’apanage des game studies américaines, très actives depuis 2001. Les game studies ont le grand mérite d’avoir ouvert un champ de recherche. La capacité du monde universitaire américain à se saisir de tout objet et à recueillir, dans des revues adaptées, des articles de tous les horizons, le dote d’une vivacité incomparable à celle de l’université française. Cette capacité d’initiative rencontre toutefois deux problèmes majeurs. Il manque, d’abord, souvent aux studies une trajectoire cohérente. La canalisation en un seul lieu des flux d’idées pose également le problème de la pauvreté définitionnelle de l’objet étudié, car à mesure que s’ajoutent des contributeurs sur des sujets toujours plus précis et resserrés, on perd de vue l’idée d’ensemble qui s’appauvrit peu à peu jusqu’à devenir une définition sinon mauvaise, au moins contestable.

A ce jour, si les game studies devaient nous fournir une définition du terme : « video games », elles nous répondraient que les jeux vidéo sont un ensemble de règles permettant l’état ludique. Cette définition a le mérite de la clarté et de la simplicité mais pose des difficultés, à vrai dire, importantes. Tout d’abord, elle ne répond en rien à l’exigence de discrimination qu’impose l’effort de définition. Les jeux vidéo ne sont en effet ici pas clairement séparés des jeux de plateau, jeux de rôles, etc. qui tous sont constitués, entre autres éléments, d’un ensemble de règles. Elle ne nous dit donc pas en quoi le jeu vidéo est une pratique spécifique. De plus, cette définition ne nous dit pas non plus ce que l’on entend par « état ludique », et nous laisse alors dans l’expectative ou l’interprétation personnelle de la pensée d’autrui. Par ailleurs, cette définition oublie un acteur essentiel du jeu vidéo, le joueur, dont l’expérience ludique est pourtant décisive pour comprendre ce qu’est le jeu vidéo et est trop complexe pour être confondue à un « état ludique » commun à toutes les formes de jeux. On remarque également que cette définition oublie les jeux sans règles produits par les enfants, comme le chahut, mais cela ne concerne pas notre sujet.

Mais surtout, cette définition est incapable de nous expliquer comment le jeu vidéo peut devenir support de nombreuses expériences ludiques concurrentes sans pour autant changer son code, sa routine, son exécution. Un même Super Mario Bros. (NES, 1985) peut ainsi être joué selon les règles explicites du programme (le feedback présenté au joueur), ou être, en quelque sorte, détourné par un tool assisted speedrunner qui, tout en respectant les règles implicites du programme (ce que permet le code), crée une expérience ludique nouvelle. On ne peut décemment pas confondre en un seul « état ludique » ces deux expériences fondamentalement différentes sans passer à côté du sujet.

Le contrat ludique, notion fertile

La recherche française commence à s’ouvrir à ce que le CNRS et l’EHESS nomment l’« anthropologie du jeu ». Le sujet est passionnant mais excède la question, plus précise, des jeux vidéo. Ce qui est intéressant avec les jeux vidéo, c’est qu’ils ne sont pas intégralement contenus dans ce champ de recherche du CNRS. Parce qu’ils incorporent des parcelles de l’électronique, du sport, de l’artistique, ils évoluent entre différents domaines et incitent aux recherches transdisciplinaires. La philosophie française du jeu nous apporte tout de même une première pierre intéressante pour fonder notre définition du jeu vidéo.

L’idée de « contrat social » a été féconde dans l’histoire de la pensée en France et remonte, évidemment, à Jean-Jacques Rousseau au XVIIIe siècle. Il s’agissait alors de montrer qu’une société se forme par l’accord de plusieurs de renoncer à leurs libertés naturelles (la loi du plus fort) pour y substituer une liberté contractuelle définie par l’État, personne morale commune à tous les contractants. Des chercheurs français, comme Thierry Wendling, ont adapté cette idée au jeu en proposant qu’il était issu d’un « contrat ludique » entre différents acteurs prenant ainsi le rôle de « joueurs ». Dans le cadre de l’espace défini par ce contrat, ces joueurs n’ont plus les mêmes libertés ni les mêmes droits qu’à l’extérieur de l’espace ludique. Un joueur de go ne peut par exemple pas voler une pièce de son adversaire qui le gène. Les joueurs acceptent donc de renoncer à leurs libertés d’action usuelles pour y substituer les libertés permises par les règles du jeu, plus ou moins lâches. Il est alors acceptable de dire qu’un « contrat ludique » est une forme de contrat social qui a pour but l’amusement commun de ses contractants.

Ce contrat ludique est un objet social qui peut être rompu. Un tricheur enfreint, par exemple, les règles que tous les joueurs sont censés accepter pour que le jeu fonctionne. En se mettant à l’écart des règles, en n’en respectant pas les contraintes nécessaires, le tricheur brise le contrat ludique et, dès lors qu’il est découvert, force le jeu à s’arrêter par l’abandon des autres joueurs ou son exclusion. Plus simplement, lorsqu’il est décidé par les joueurs de cesser le jeu, l’espace ludique perd sa fonction et les acteurs se séparent, brisant ainsi le contrat ludique. On peut alors accepter de dire qu’un contrat ludique se rompt dès lors que ses acteurs ont décidé d’y mettre fin. Cette idée de la rupture de contrat ludique est importante pour la suite et il faut la garder à l’esprit.

Asymétrie et variété de l’expérience vidéoludique

L’idée d’un « contrat ludique » semble à la fois flexible et féconde car elle ne place pas au centre de la définition du jeu un de ses éléments ponctuels (comme les règles) mais procède à une compréhension globale en le présentant comme une expérience sociale particulière. Ce qui est encore plus intéressant est de confronter cette idée à l’objet « jeu vidéo ». Il faut d’abord identifier les acteurs du contrat vidéoludique ; qui sont-ils ? On pourrait les limiter à deux ensembles : le développeur qui propose les termes du contrat, comme des règles de jeu implicites (ce que permet le code) et explicites (le feedback présenté), un espace de jeu (les graphismes, le son, les entrées acceptées…), un vecteur de jeu (la machine capable d’exécuter le jeu) ; et le joueur dont on attend qu’il accepte ce contrat et soit amené à s’amuser grâce à lui. On note immédiatement un paradoxe : contrairement à de nombreux autres formes de jeux, il n’y a pas coprésence des acteurs dans le contrat vidéoludique alors que le jeu s’exécute tout de même.

Je tiens à préciser ici une distinction entre jeux vidéo et jeux de plateau. Dans ces derniers, le créateur fabrique les termes du contrat mais n’a aucun moyen, par la suite, de les imposer aux joueurs. Ceux-ci peuvent prendre les règles comme des conseils non-contraignants et décider de créer les leurs. Dans tous les cas, le jeu de plateau cesse son exécution normale (voulue par son créateur) lorsque les joueurs modifient les termes du contrat ludique. Ce qu’il y a de distinctif et d’intéressant dans le jeu vidéo c’est que le contrat voulu par le développeur ne se rompt pas réellement lorsque le joueur le récuse, car la machine, vecteur du jeu, poursuit son exécution malgré la volonté du joueur. A l’inverse, on peut dire que lorsque le joueur crée ses propres termes, le développeur n’est pas non plus capable de rompre le contrat vidéoludique et la machine continue d’exécuter le jeu alors même que le joueur le détourne de ses termes initiaux. On peut ainsi dire que le jeu vidéo a ceci de spécifique que son contrat ludique continue de s’exécuter alors qu’un contractant l’a rompu unilatéralement.

Considérons, par exemple, le jeu The Legend of Zelda : Ocarina of Time (1998, Nintendo 64). Les nombreux speedrunners et tool assisted speedrunners qui se sont intéressés à ce jeu ont poussé jusqu’à son terme l’idée d’un contrat vidéoludique asymétrique, car brisé d’un côté sans pour autant s’arrêter. En profitant des règles implicites du programme, ceux-ci ont développé des méthodes de jeu qui vont à l’encontre des termes énoncés par le contrat initial. Il est par exemple possible de modifier des objets en jouant sur leur valeur d’accès (reverse bottle adventure), de sortir des limites de l’espace ludique (out of bounds), de créer des téléportations non-prévues par les développeurs (wrong warp). Nous sommes alors en présence d’un contrat vidéoludique rompu par le joueur, puisqu’il ne respecte plus les règles explicites qui unissaient le développeur et le joueur en un accord, et qui se trouve remplacé par un nouveau contrat ludique dont les termes ont été énoncés par le joueur et non plus le développeur. On voit alors se former une asymétrie dans le contrat vidéoludique. Car, alors que la machine exécute un contrat A, le joueur y substitue un contrat B, tout en restant dans les termes techniques produits pour le contrat A. Le développeur et le joueur, qui sont séparés par l’espace et par le temps, n’évoluent donc plus dans les mêmes termes. Cette asymétrie est uniquement rendue possible grâce au vecteur machine, et est donc unique au jeu vidéo, et même constitutive de sa définition.

Sans aller dans ces cas presque caricaturaux que constituent les speedruns, on conçoit que la séparation spatiotemporelle des acteurs du contrat, couplée à une machine exécutant les termes du contrat voulus par le développeur, créent nécessairement une asymétrie dans le contrat vidéoludique. Peut-être même, si l’on va au bout du raisonnement, que le jeu vidéo est un contrat ludique défini par sa semi-rupture toujours possible, que ce soit du fait d’un développeur s’étant trompé dans la programmation du jeu (bug, glitch, erreur de design…) ou par un joueur en porte-à-faux avec les termes du contrat qui lui sont proposés (frustration, refus, détournement, substitution…). Dans tous ces cas, assez fréquents, la réalité que la machine n’interrompt pas l’exécution du contrat ludique rompu est essentielle, car elle permet de comprendre en quoi le jeu vidéo est spécifique par rapport aux autres formes de jeux qui s’effondrent lorsque leurs acteurs rompent leur contrat. Le jeu vidéo, au contraire, fait persister l’espace, les règles, le vecteur du contrat ludique même lorsque tous ses contractants l’ont récusé. En cela, le jeu vidéo est une forme de contrat à la fois figé et dynamique. Figé parce que les termes du contrat initial formés par le développeur sont inscrits dans son code ; dynamique car il est possible de superposer de nouveaux contrats ludiques au premier sans pour autant que la machine décide d’interrompre l’exécution. Cette plasticité dure du jeu vidéo, ainsi que l’absence de coprésence de ses acteurs, font de l’expérience vidéoludique une communion non-partagée entre développeur et joueur par l’intermédiaire d’une machine. Elles fondent également l’idée de contrats ludiques asymétriques et superposés que l’on ne trouve que dans le jeu vidéo.

Si l’on devait ramasser en une définition, à la fois simple et courte, ce qui a été avancé ci-dessus, on pourrait dire que le jeu vidéo est un contrat ludique asymétrique. A mon sens, ces trois mots rassemblent la spécificité profonde du jeu vidéo.