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« Games are too expensive to make » ? Les causes de la sur-monétisation des jeux vidéo – Compendium #2

« Games are too expensive to make » ? Les causes de la sur-monétisation des jeux vidéo – Compendium #2

Qui suit la scène de l’industrie du jeu vidéo n’a pu ignorer les rebondissements de la sortie de Star Wars : Battlefront 2 (DICE, Electronic Arts). Les premiers remous dans la campagne de communication d’EA sont survenus pendant l’ouverture de la bêta publique (6 au 9 octobre 2017). Les joueurs et critiques ont alors découvert une transposition de toutes les structures de progression et de monétisation du modèle free to play dans un jeu coûtant entre 60 et 90 euros, selon l’édition. Au lieu de proposer un contenu justifiant son prix, un système de progression satisfaisant et une compétition équitable entre joueurs, Battlefront 2 mettait les micro-transactions et les lootboxes au centre à la fois de son gameplay et de sa progression. Le joueur était encouragé à acheter des récompenses cachées et aléatoires capables d’influencer directement les statistiques de ses personnages et son expérience de jeu. Le système de progression semblait également avoir été construit pour créer de la frustration plutôt que de la satisfaction – dans l’espoir que sa lenteur incite les joueurs à acheter davantage de micro-transactions.

Les nouvelles stratégies de sur-monétisation

Sur-monétiser un jeu vidéo déjà payant n’a rien de nouveau. Il faut toutefois différencier la monétisation du prolongement de la durée de vie d’un jeu – extensions, downloadable content (DLC) développé après la sortie du jeu, rééditions –, laquelle existe depuis plus de vingt ans, de la multiplication des manières de monétiser un produit dès sa sortie, pratique plus récente. On réservera le terme de « sur-monétisation » à cette seconde réalité, devenue incontournable dans le jeu vidéo à grand budget.

Les éditeurs font en effet preuve d’une grande créativité lorsqu’il s’agit de monnayer l’accès à du contenu après la transaction initiale, alors qu’il était auparavant délivré gratuitement, au cours de la progression. Nous avons vu apparaître ces 10 dernières années : les DLC de sortie ; les cadeaux de pré-commandes ; des parties du jeu exclusives aux éditions spéciales ; des micro-transactions intégrées au jeu ; des monnaies virtuelles pour masquer le coût de ces micro-transactions ; des lootboxes qui empêchent d’accéder directement au contenu désiré ; le season pass, véritable percée conceptuelle opérée par l’industrie, puisqu’il s’agit de monétiser une promesse, voir du vaporware.

On pourrait multiplier les exemples de jeux tentant de transformer leur acheteur en sur-consommateur effréné. Rien que dans l’année écoulée, les éditeurs ont placé dans des lootboxes des skinsOverwatch, Destiny 2 (Activision-Blizzard) –, des personnages alliés – Shadow of War (Monolith Productions, Warner Bros. Interactive) –, des bonus de statistiques – Battlefront 2, Need for Speed Payback (tous deux édités par EA). Toutes ces récompenses faisaient partie intégrante du jeu dans les années 1990-2000. Nous assistons là, à vrai dire, à l’extension d’une sur-monétisation qui avait frappé bien plus tôt les jeux de sport.

Des problèmes de coûts ?

Comment comprendre cet élan de sur-monétisation, du point de vue des éditeurs ? Ceux-ci affirment, par l’intermédiaire de leurs communicants, que les jeux sont « devenus trop chers à fabriquer ». Est-ce là une justification recevable, ou un plan de communication ? Pour le savoir, il convient certainement de consulter ce que les éditeurs présentent aux seuls gens qui comptent réellement : leurs actionnaires.

On trouve d’abord, dans le Proxy Statement and Annual Report 2017 d’EA1, ceci : « Players increasingly purchase our games digitally and engage with the live services associated with our portfolio of games. Our live services engagement model includes microtransactions, downloadable content, subscriptions, esports, among others » (p. 3). La sur-monétisation est donc une source de revenus en croissance, surtout auprès des joueurs consoles – Xbox One et PS4 représentent 75 % des revenus nets d’EA (p. 85).

Nous apprenons par ailleurs que les coûts de production engagés par EA atteignent $1298 millions, tandis que leurs revenus nets s’élèvent à $4845 millions (p. 23), décomposés en deux ensembles : les « revenus de produits » (ventes de jeux) représentant $2640 millions, et les « revenus de services » (sur-monétisation), qui représentent quant à eux $2205 millions (p. 32-33). Nous pouvons donc oublier l’idée selon laquelle les « jeux vidéo seraient trop cher à fabriquer » : la vente de jeux, rapportée à leur coût de production, offre à EA un revenu net de $1342 millions.

On constate par contre que l’entreprise dépense des sommes gigantesques en frais de fonctionnement : $2323 millions – plus que les revenus générés par la vente de jeux. Bien plus que le coût de production des jeux, c’est ce point-là qui interpelle dans le bilan financier de l’entreprise. Pourquoi une telle somme ? Le détail n’en est pas donné. Au final, l’entreprise a dégagé $967 millions de profits au cours de l’année fiscale 2017 (p. 23), résultat qu’on peut qualifier de performant.

Il y a donc bien un véritable problème de coûts chez les grands éditeurs du jeu vidéo. Mais, contrairement à ce que clament leurs communicants, ce n’est pas la production des jeux vidéo qui coûte trop cher. C’est l’entretien de structures entrepreneuriales devenues gigantesques et irrationnelles. Tel Microsoft dans les années 2000, les éditeurs de jeux vidéo sont aujourd’hui des corporations-hydres, polycéphales et multinationales, qui multiplient les divisions souvent inutiles ou déficitaires, chacune ne sachant trop ce que font les autres. Cette situation conduit Microsoft à enchaîner les restructurations depuis quelques années, afin de ramener ses coûts de fonctionnement à un niveau raisonnable2.

Un modèle de développement fragilisé par une perte de confiance

EA est encore une entreprise rentable et en croissance qui n’est pas confrontée aux pertes qu’endure Microsoft. Elle préfère donc poursuivre le développement de ses recettes par la sur-monétisation plutôt que de se soucier de ses coûts de fonctionnement. Cette stratégie de développement a toutefois été récemment remise en cause par les joueurs et la presse, jusqu’à aboutir au retrait de la sur-monétisation de Battlefront 2, le 17 novembre 2017. La vigilance accrue des consommateurs et critiques contre la sur-monétisation a visé d’autres titres d’EA : Need for Speed Payback s’est également retrouvé sous le feu des critiques, et c’est désormais au tour d’UFC 3 et de Fifa 18 d’être dénoncés. Toute cette mauvaise presse a fait dévisser l’action d’EA en bourse de 12 %.

On ne peut que penser qu’adviendra un jour où ces récriminations seront suivies d’effets : un décrochage de la demande pour les jeux sur-monétisés, une désaffection des consommateurs. Alors EA ne pourra plus fuir son problème fondamental : l’expansion non-durable de ses coûts de fonctionnement.

2 Après une restructuration en 2015 qui a coûté leur emploi à 18000 personnes, Microsoft a annoncé l’été dernier qu’il se séparait à nouveau de 5000 collaborateurs. Au total, depuis 2014, c’est plus de 30000 postes qui ont été supprimés dans le groupe.

Compendium #1 : Pokémon – De l’art des objectifs différenciés

Compendium #1 : Pokémon – De l’art des objectifs différenciés

Cet article est un format expérimental. J’ai essayé ici de produire un texte qui maintienne l’esprit de ce blog (une réflexion sur les jeux vidéo qui me semble mériter d’être énoncée), mais en 3500 caractères. Ce format court devrait me permettre de publier des remarques qui ne méritaient pas un véritable article, tout en me proposant un défi d’écriture (réussir à faire passer une idée en quelques mots).


Chausser ses baskets, prendre son premier Pokémon, et partir. Mais partir vers où et pour quoi faire ? Dès 1995, l’incitation au voyage dans la série Pokémon a été structurée par deux principes moteurs indépendants. Le joueur avance de ville en ville, vient à bout des huit champions d’arène, puis défie les membres du Conseil des Quatre et ravit sa place au Maître Pokémon. Mais rien ne le contraint à finir cette quête. Au seuil du plateau Indigo, il peut très bien décider de flâner, de faire marche arrière et de rentrer dans le processus laborieux mais gratifiant de compléter son Pokédex. Sa patience sera sanctionnée par un diplôme, remis par l’équipe de Game Freak et qui est en lui-même une fin de jeu.

Mais alors, où se situe la fin de Pokémon ? Au Panthéon ou à Céladopole ? En divers lieux à vrai dire, et en encore plus de lieux dans les générations les plus récentes. Depuis la génération 6 (X, Y, Rubis Oméga, Saphir Alpha), les développeurs ont mis à disposition des joueurs un arsenal d’outils destinés aux éleveurs et aux compétiteurs. Il est assez facile depuis lors, si on en a la patience, d’entraîner une équipe de pokémons aux statistiques parfaites, de produire des pokémons chromatiques, ou d’aller défier les joueurs du monde entier sur Internet. La Pokémon Company semble avoir eu à cœur de se réapproprier des objectifs divergents inventés par les joueurs eux-mêmes, quinze ans plus tôt. En faisant cas de ces manières alternatives de jouer à Pokémon, ils les ont légitimés en tant que pratiques courantes, les ajoutant aux deux objectifs officiels et premiers de cette licence.

Le joueur a donc la possibilité de tendre son expérience vers différents objectifs, dont un seul lui est imposé pour progresser dans l’histoire (l’obtention de badges). Ce n’est certes pas le seul jeu à laisser au joueur la possibilité de choisir entre différentes expériences entrelacées : les jeux à monde ouvert, comme les Elder Scrolls, les Grand Theft Auto, la plupart des jeux Ubisoft récents et d’autres, poussent cette logique jusqu’à son terme en lâchant le joueur dans un espace peuplé d’objectifs ponctuels et de séries de quêtes indépendantes. L’originalité de Pokémon réside dans le fait qu’il dirige implicitement les choix apparemment libres du joueur. Celui-ci fait des choix, mais au sein d’une narration et d’un cheminement linéaires, tandis qu’un joueur d’Elder Scrolls peut très bien ignorer la quête principale que les designers lui proposent et se rendre dans un autre village cueillir des fleurs ou tuer des vaches.

Peut-être que le surplus de liberté n’est pas nécessairement un gage de qualité pour l’expérience ludique du joueur. Un bac à sable trop peu normé par la narration et le level design peut ressembler, de prime abord, à une promesse d’interactivité sans limite pour le joueur. Toutefois, celui-ci peut s’avérer incapable de hiérarchiser et de s’approprier les objectifs proposés et se mettre alors à tourner en rond et à s’ennuyer. Au contraire, Pokémon opte pour une expérience à la fois dirigée et souple, où le joueur est guidé dans ses choix.

En cherchant un équilibre entre l’enfermement et la liberté, Pokémon peut produire une expérience plaisante parce que le joueur est maintenu dans la croyance qu’il produit ses propres objectifs – ce qui augmente sa satisfaction lorsqu’il les poursuit et les remplit – tout en n’étant pas confronté au travers des jeux à monde ouvert : l’ennui et le désœuvrement face à des tâches, certes nombreuses, mais qui semblent trop dispersées, répétitives et vides de sens.